Les Fantomes de Harlem (1997) - Part 1

 

Les Fantômes de Harlem de Hank O'Neal, éditions Filipacchi (1997)

Si vous n'avez pas déjà ce livre (épuisé), trouvez-le, achetez-le, chérissez-le ! C’est un livre unique basé sur les interviews des derniers survivants du Harlem de la grande époque. Hank O’Neal accompagne toutes ses interviews de photos qu’il a prises lui-même de ces vieux roublards du jazz dans leur intérieur. C’est un livre intimiste et généreux à l’image de Milton Hinton, fidèle contrebassiste de Cab notamment, qui donne une longue interview. Nous allons consacrer une large série de notes aux « Fantômes de Harlem », tant l’ouvrage est riche en informations exclusives sur Cab, ses musiciens et le jazz de cette époque.

 

Toutes les interviews de musiciens sont basées sur les 12 mêmes questions : leur perception du rôle de Harlem, de ses salles de concert, de son déclin.

 L'image “http://hankonealphoto.com/index_r5_c4_f2.gif” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.

Présentons rapidement Hank O’Neal, fondateur d’une petite maison d’édition de disque, Chiaroscuro Records, producteur de disques et auteur d’ouvrages photographiques sur ses contemporains. Son livre sur Charlie Parker fait d’ailleurs référence. Hank O’Neal est également organisateur de festivals de musique et de concerts à bord de paquebots (un des nouveaux repaires des vieux jazzmen encore actifs, avec ou sans Pascal Sevran !). Bref, un type qui connaît son monde.

 

Les raisons du déclin de Harlem

Dans la préface de l’ouvrage, Hank O’Neal raconte qu’il a écrit ce livre à la suite d’une visite à Harlem un soir de 1985 en compagnie de John Hammond (1910-1987, célèbre producteur de disques, critique et interiewer hors pair). À cette époque, Harlem est complètement délabrée, suscitant son envie d’avoir les témoignages de ceux qui avaient connu Harlem au faîte de sa gloire afin de comprendre pourquoi et comment ce quartier en était arrivé là. Il en ressort 6 raisons principales, analysées finement par l’auteur :

  1. L’abrogation du 18e Amendement en 1933 et la fin de la Prohibition qui firent rapidement baisser le trafic d’alcool frelaté ou non et qui faisait la fortune de la mafia locale.
  2. La seconde Guerre mondiale qui vit un nombre impressionnant de musiciens de jazz être incorporés dans les troupes. À leur retour, les lois du marché et de la musique en général avaient changé. La naissance du Be-Bop était accompagnée (ou peut-être l’avait-il causé en partie ?) de la disparition de plus de la moitié des grands orchestres de jazz. Les salles de spectacle et dancings fermaient également à tour de rôle. Même si le Be-Bop s’était construit à Harlem (au Minton’s notamment), la plupart des salles avaient déménagé ou se créaient désormais sur la 52e rue à Manhattan ou même jusqu’à Greenwich Village plus au Sud. Le Cotton Club - pour n’en citer qu’une – avait quitté Harlem dès 1936 pour la 36e rue. « Les Fantômes de Harlem » met particulièrement en exergue le schisme entre les musiciens de jazz des années 30-40 et ceux du Be-Bop. Panama Francis, batteur de Cab notamment, traite Dexter Gordon, Kenny Klarke et consorts de « types incapables de jouer en orchestre ! »
  3. La réquisition de la laque pour cause d’effort de guerre fut une des conséquences secondaires du conflit mondial. Elle était en effet utilisée pour fabriquer les disques et, à cette époque, il fallait rapporter un ancien disque pour en acheter un nouveau. La consommation de disques et donc la production et l’enregistrement d’artistes noirs pâtirent largement de cet aspect économique.
  4. L’arrivée en masse de Noirs en provenance du Sud des États-Unis. Plus pauvres, moins qualifiés, ils provoquèrent un changement social dans la vie de quartier, avec une augmentation très sensible de la violence. Les classes moyennes noires quittèrent le quartier avec les derniers Blancs qui y étaient encore.
  5. La Télévision et les Juke-Box qui tuèrent littéralement les spectacles « live ». Une rengaine de plus contre un nouveau média ? Regardez un peu en France…
  6. Le développement des drogues dures qui intervint plus profondément dans les années 50 et 60 (même si Charlie Parker dès le milieu des années 40 ne pouvait s’en passer pour enregistrer). À la cocaïne, l’opium et la marijuana des années 30 avaient succédé l’héroïne et ses dérivés. On est loin de Minnie The Moocher, Kicking The Gong Around et autres Reefer Man chantés par Cab Calloway. La drogue à cette époque a tué vraiment beaucoup de musiciens, et non des moindres.

 

La prochaine fois, nous parlerons de l’interview accordée par Milton Hinton.

En attendant, permettez-moi de vous conseiller en accompagnement un disque qui n’est pas directement lié aux « Fantômes de Harlem » mais qui possède un puissant pouvoir d’évocation et d’émotion : « Wonderful World » de Guillaume de Chassy et Daniel Yvinec (une improvisation sur des témoignages enregistrés dans New York autour des chansons des années 40. Un pur joyau de sensibilité et de délicatesse).

Il fera une parfaite bande originale de ce livre, même si Chiaroscuro a édité un double album de Milt Hinton, « Old Man Time » (dont nous parlerons aussi prochainement).

Hank O'Neal possède un site complet qui présente de nombreuses photos issues des Fantômes de Harlem et d'autres ouvrages. Nous y reviendrons prochainement.