“The Grand Larceny”, an article by Cab Calloway (Oct. 1937)

Cab Calloway s'est exprimé plusieurs fois dans les journaux et magazines de son époque, en dehors des interviews. Dès 1931, son premier article paraît dans le magazine britannique Rhythm. Aujourd'hui, nous allons nous intéresser à celui paru en octobre 1937 dans les colonnes de Musical News & Dance Band. Cet article fut le premier d'une série écrits spécialement pour cette revue anglaise par des chefs d'orchestre américains. Avec cet article de Cab intitulé "Vol qualifié" (Grand Larceny), le ton était donné : règlement de compte avec les critiques, les journalistes et les musiciens blancs et noirs...

"Ce n'est pas si souvent qu'un chef d'orchestre peut dire ce qu’il pense sur le jazz, ce privilège étant habituellement réservé aux hommes des médias. Trop souvent, ces contorsionnistes verbeux, du fait de leur pouvoir, sortent de leurs compétences, simplement pour la recherche du sensationnel, démolissant les standards, faisant voler en éclats d'honnêtes efforts, au mépris complet de la sincérité de la musique produite.

Il en résulte un paradoxe grandissant dans les critiques récentes. Aux yeux des critiques jazz, le travail des musiciens de couleur semble être sur le déclin – et cela en dépit du fait que le jazz hot est le propre du musicien noir. Il semble incroyable qu'avec une telle demande pour de la musique rythmée, les groupes blancs jouissent des faveurs grandissantes des critiques de jazz aux dépens des orchestres noirs.

Le déclin des orchestres de couleur n'est pas seulement à ceux qui critiquent leur médiocrité, mais une large part de la responsabilité est attribuable au Noirs eux-mêmes.

L'orchestre de Cab Calloway en studio (1941)
L'orchestre de Cab en studio (1941).

Il y a quelques années, lorsque les musiciens de couleur étaient invités pour des sessions dans des orchestres blancs, ils se sentaient flattés et pendant un moment on a cru que cela conduirait à l’effondrement des barrières raciales existantes. La pratique continue du mixage des orchestres n'aboutit pas à cette victoire mais se transforma en cours de musique pour musiciens blancs. Bientôt, l'on vit des pèlerinages nocturnes vers les endroits chauds de Harlem et ses moulins à gin. Les gars de Broadway vinrent eux aussi s'asseoir au milieu des orchestres de couleur, ce qui équivalait à pour eux à faire des études supérieures. En acquérant les ingrédients essentiels de la musique swing, les petits Blancs ont patiemment et minutieusement cherché à s'améliorer à travers une pratique intensive, des expériences et des répétitions continues.

Ma dernière phrase contient un des causes réelles des conditions actuelles. Tandis que les musiciens de couleur excellent individuellement dans la musique swing, leur travail collectif est bien plus lent et manque de précision et de coordination par rapport aux blancs. Tout simplement parce que seuls quelques musiciens de couleur vont passer du temps à répéter ou même pratiquer de manière à obtenir un meilleur niveau technique ou un ton plus juste. Comme pour les répétitions, une ou deux performances préliminaires d'un arrangement sont considérées comme suffisantes pour développer la coordination d'un orchestre et toute amélioration doit venir de performances répétées. Il n'en va pas de même avec les musiciens blancs. Même les plus notables instrumentistes continuent de prendre des leçons chaque mois avec des professeurs renommés ; ils pratiquent en permanence, s'acharnant pour obtenir la meilleure technique, un meilleur souffle,  une meilleure maîtrise de l’embouchure, un meilleur doigté et d'autres techniques attachées à leur instrument. Ajoutez cela à leur connaissance de la musique swing, et ils parviennent à un meilleur degré de virtuosité.

Walter Foots Thomas, Cab Calloway's orchestra
Walter Foots Thomas, premier saxophone de l'orchestre,
mais aussi un des principaux arrangeurs et répétiteurs.
(photo : (c) Milt Hinton)

Que deux personnes se rapprochent du même but en empruntant des chemins différents peut s'expliquer par le fait que le musicien de couleur swingue subjectivement – il joue pour se satisfaire lui-même. Le joueur blanc s'intéresse d'abord à la satisfaction de son audience – sa musique est objective. Tandis que le musicien de couleur adhère à la première règle de la musique swing,  le musicien blanc va, pour dépasser l'autosatisfaction, prendre conscience de la nécessité de se mettre en scène, de valoriser ses atouts afin d'attraper immédiatement l'œil et l'oreille. Mais heureusement pour lui, il a développé une musique swing à un tel degré de perfection instrumentale, précision, de coordination et de forme avancée d'orchestration qu'il a gagné la préférence actuelle du public.

Je ne me fais pas le défenseur de ceux qui se sont emparés du style swing, dont les musiciens de couleur sont à l'origine, et qui ont reçu un tas d'éloges suite à leurs progrès. Mais là où vous trouverez un orchestre blanc de premier ordre, vous trouverez presque invariablement une ou deux personnes de couleur, en coulisses, telles que des arrangeurs, des conseillers qui, d'une manière ou d'une autre, sont responsables de la musique que l'on entend.

Les musiciens blancs ont beaucoup appris des instrumentistes de couleur et il est désormais temps que les petits gars d'Uptown [NDLR : Harlem] prennent une leçon des petits gars de Downtown [NDLR : Manhattan]. Des répétitions longues, une pratique continue, une précision aigüe et un œil acéré sur le ton et le pitch les aiderait considérablement. Notre problème est maintenant de préserver les qualités admirables que nous possédons et de continuer à bâtir une forme de jazz qui sera labellisée "Musique Noire". En faisant ainsi, nous pouvons réussir un encore plus grand degré de compétence en rythme musical car le swing définitivement en nous."


Un immense merci à Steve VOCE qui m'a envoyé une copie de cet article, puisant dans sa collection personnelle.

Merci également à Nicolas DUPUY pour son aide sur la traduction.
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