Andrew ‘Flat’ BROWN: the 9 to 5 clarinet and sax in Cab Calloway’s orchestra

Andy ‘Flat’ BROWN

(2 février 1903 St Louis, MO – 30 janvier 1960, New York, NY)
alto, ténor, baryton sax, clarinette, clarinette basse
dans l’orchestre de Cab Calloway de 1930 à fin 1944

 

Andy Brown fut l’un des précurseurs de la clarinette basse dans les orchestres de jazz, il passa l’essentiel de sa carrière sous la baguette de Cab Calloway et pourtant, voilà encore un musicien bien vite oublié. Avec l’aide des quelques maigres sources, The Hi de Ho Blog va tenter de vous parler un peu de ce musicien discret.

 

Une enfant à Saint Louis avec une belle bande de… musiciens !

Né en 1903 à Saint Louis, Andrew Jackson Brown fait partie de la génération « ancienne » des jazzmen. Il est aussi de le groupe de musiciens originaires de la même ville, voire du même quartier, et qui se sont suivis tout au long de leur carrière : Earres Prince, Eli Logan, Harry Dial, Shirley Clay…

Comme Eugene Sedric et Jerome Pasquall, Andrew Brown fait partie de ces clarinettistes qui reçurent une formation de M. Langford au sein du Odd Fellows’ band. Mais on comptait aussi dans ce groupe où les instruments étaient prêtés gracieusement contre 25 cents la leçon de futurs grands du jazz comme Irving Randolph, Emmett Mathews, Dewey Jackson, Shirley Clay, R.Q. Dickerson, Leonard Davis, Harvey Langford, Anrew Luper, etc.

La légende – organisée par le service de presse d’Irving Mills – voudrait qu’Andrew Brown ait exercé un moment le métier de tailleur. Ma foi, je ne vois guère à quel moment il aurait trouvé le temps de tailler des costumes vue son entrée dans le monde professionnel des musiciens très tôt dans son existence comme le montre le prochain paragraphe.

 


Le Cotton Club orchestra sous la direction d'Andy Preer
(Andrew Brown est le 3e à partir de la gauche)

 

Le noyau dur du futur orchestre de Cab se forme déjà

Durant l’été 1921, on apprend qu’Andrew Brown, Earres Prince (p) et Shirley Clay (tp) se sont cotisés pour payer au jeune batteur Harry Dial ses droits d’adhésion au syndicat des musiciens, un pantalon neuf. Ils l’emmenèrent alors pour son premier engagement professionnel. Avec eux, la chanteuse Ruby Barbee et le chanteur-danseur Clarence ‘Bobidly’ Williams. 20$ de salaire hebdomadaire, ce qui n’est pas mal pour de jeunes musiciens. Clay est remplacé par Jimmy Hunter et Prince par Eddie Hudson. Mais le groupe fonctionne mal et se dissout à la fin 1921.

En 1922, on retrouve la trace d’Andy Brown une fois encore grâce au témoignage d’Harry Dial. Brown et Clay incitent Dial à quitter le Manhattan Café pour les rejoindre aux Marigold Gardens, sur Olive Street Road à St Louis. Auzie Crawdford Shoffner est la pianiste du groupe. L’endroit était suffisant vaste et élégant pour accueillir un public chic et nombreux. Peu de temps après, des histoires d’hégémonie de gangsters forcent l’endroit à fermer. On perd un peu la trace d’Andrew Brown à ce moment-là jusqu’au printemps 1923.

C’est là que le violoniste Wilson Robinson organise autour de lui les Robinson’s Syncopators. Ce sera le noyau dur du futur Cotton Club orchestra, des Missourians et enfin de l’orchestre de Cab Calloway. Pour preuve, voici le personnel du début :

R.Q. Dickerson (p), DePriest Wheeler (tb), Earres Prince (p), Andrew Brown (cl), Eli Logan, Davey Jones (s), Jimmy Smith (b), Benny Washington (d) remplacé rapidement par Leroy Maxey.

En 1923, le groupe part pour la côte ouest sur le circuit des théâtres Pantages et enchaîne en 1924 pour le circuit de théâtres Orpheum sur la côte Est.

En 1925, il atterrit au Cotton Club de Harlem, avec à sa tête un autre violoniste Andy Preer puis Eddie Lockwood Lewis. Le groupe y reste jusqu’en 1927, date à laquelle on lui trouve un remplaçant de taille : Duke Ellington.

Il est intéressant de lire qu’Harry Dial classe Andrew Brown au second rang derrière des musiciens comme Will Thornton Blue ou Arville Harris, tout deux futurs musiciens chez Cab.

 

Un premier tour de deux ans au Cotton Club

Revenons un peu en arrière puisqu’au sein du Cotton Club orchestra, Andrew brown enregistre quelques morceaux dans lesquels son jeu au sax ténor est mis en avant, comme dans l’excellent Snag ‘Em Blues (6 janvier 1925), Original Two-Time Man (27 avril 1925) ou encore I Found A New Baby (3 février 1927). Mais c’est surtout lors de la session du 3 juin 1929, sous la direction guindée de Lockwood Lewis qu’Andrew Brown donne le meilleur avec un solo de 30 mesures sur Market Street Stomp (même si Alyn Shipton estime que son jeu « plein de contrôle et de certitude » est un peu daté, même pour 1929). L’éminent solographe Jan Evensmo écrit à son propos « Quel agréable surprise ! Un jeu actif et très swinguant avec un son personnel qui nous fait nous demander pourquoi Andrew Brown n’est pas devenu un sax ténor soliste de premier plan » (page 10).

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Les Missourians SANS Cab Calloway.
(Andrew Brown est au premier rang, 2e à partir de la droite)

Le Cotton Club orchestra est donc devenu les Missourians et commence à faire parler de lui. Il est l’orchestre maison du Savoy Ballroom et c’est là qu’il va rencontrer son futur maestro, Cab Calloway lors de la fameuse bataille d’orchestre qui les oppose aux Alabamians menés par le jeun Cab.

Le passage de bâton des Missourians à l’orchestre de Cab Calloway a été raconté maintes fois, même ici. Nous n’y reviendrons pas en ayant simplement en tête que très rapidement, Cab eut à cœur d’affirmer son autorité sur le noyau dur des Missourians, quitte à remplacer rapidement les rebelles, à renforcer le groupe existant avec ses choix. Andrew Brown dut donc courber l’échine, en se réjouissant comme les autres, de l’augmentation substantielle de la paie.

 


Les Missourians AVEC Cab Calloway.
(Andrew Brown est justement sous le maestro...)

Des premiers solos prometteurs mais sans suite.

Au sein de l’orchestre de Cab Calloway, Andrew Brown est surnommé ‘Flat’. Cela vient du fait que sa voix était haut perchée au niveau du « E-Flat » (mi bémol).

En revanche, c’est plutôt dans les basses que Flat s’exprime. En effet, Günter Schuller le reconnaît comme « le premier musicien noir majeur à avoir pris au sérieux la clarinette basse. Paul Whiteman et ses orchestres qui jouaient une danse de style ‘symphonique’ utilisaient aussi cet instrument pour des effets spécifiques ; il y a également les rencontres occasionnelles avec la clarinette basse (comme par exemple fin 1931 sur Lucille avec l’orchestre de danse de l’hôtel Commodore). Mais Andrew Brown semble avoir été le seul joueur, jusqu’à ce qu’Harry Carney adopte la clarinette basse, à l’utiliser comme un instrument de jazz à part entière » (page 335).

Dès le premier enregistrement de la première session sous le nom de Cab Calloway, Andrew Brown vient en soutien de Cab avec un obbligato à la clarinette basse sur Gotta Darn Good Reason. Efficace et discret à la fois, il permet toutes les envolées à Cab déjà maître du micro.

Il aura d’autres occasions comme avec Some of These Days ou Somebody Stole my Gal. On l’entendra également sur le fameux Moonglow où l’alto d’Eddie Barefield est la vedette. Flat intervient après les élégantes mesures de ‘Rip’ Barefield et avant celles d’Arville Harris à la clarinette.

 

Dans ce court-métrage de 1935, on voit particulièrement bien la section de saxophones avec Andrew Brown au premier plan.

 

1937 Ork dans le film HI de Ho (Ben Webster) copie.jpg
1935 : à droite de Ben Webster...

Un « fonctionnaire » de l’orchestre.

Après le Moonglow de 1934, on n’entend plus vraiment de solo d’Andrew Brown (en tout cas, je n’en ai pas repéré). Il reste néanmoins un excellent membre de la section des anches. D’aucuns lui reprocheraient d’être un peu « fonctionnaire » dans l’orchestre de Cab. Il faut dire qu’il y est depuis le début et même avant ! Le jeune Milt Hinton qui intègre le big band en 1936 constate que quelques anciens des Missourians justement fond figure de ronds de cuir et ne vont jamais écouter d’autres musiciens après les concerts ou tenter de faire le bœuf. Il est vrai qu’avec le programme intense toute l’année, on peut aisément tomber d’épuisement quand après le cinquième show de la journée on décide d’aller se coucher vers 4 heures du matin quand on sait que l’on va reprendre le bus dans la foulée pour un autre engagement dès midi…

 

Bon an mal an, Andrew Brown reste donc dans l’orchestre de Cab. Il voit l’évolution de l’orchestre. Il la subit même. Du swing, de nouveaux arrangements, des solistes vedette comme Ben Webster puis Chu Berry. Tout passe, rien ne lasse Andrew Brown qui continue son bonhomme de chemin. Seule péripétie, et non des moindres, l’accident de voiture du 27 octobre 1941.

 

 
 
 
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1940 : à gauche de Chu Berry

 

Au volant de la voiture qui tue Chu Berry.

Ce soir-là, après leur engagement à Youngstown, tout l’orchestre prend le bus. Tous, à l’exception de Lammar Wright qui vient de s’acheter une nouvelle voiture et de Chu Berry. Andrew Brown se joint à eux et prend même le volant. Pas de chance, il s’endort au bout de quelques kilomètres et la voiture se fracasse dans le brouillard contre la balustrade d’un pont. Wright et Brown sont légèrement commotionnés. Chu Berry a été éjecté du véhicule. Il se réveille, dit quelques mots ; s’évanouit et tombe dans un coma dont il ne réveillera pas. Il décède le 31 octobre 1941.

 

L’orchestre n’eut pas le temps d’être tétanisé par la douleur. Les engagements s’enchainent et les sessions d’enregistrement prévues doivent être honorées. Reste à se demander comment Andrew Brown fut désormais perçu par Cab qui venait de perdre sa grande vedette.

 

Des changements dans l’orchestre, même pour l’indéboulonnable Flat.

La fin 1941 était une période charnière pour l’orchestre de Cab comme pour tous les big bands. L’entrée en guerre des États-Unis et les restrictions qui allaient s’appliquer en même temps que les départs des musiciens à l’armée allaient changer la physionomie du jazz. En plus de cela, avec de jeunes trublions comme Dizzy Gillespie, c’est le jazz lui-même qui allait être bouleversé. Ajoutons une évolution des goûts du public et nous nous retrouvons avec un Cab Calloway bien obligé de faire lui aussi évoluer son orchestre. Le Cotton Club n’existe plus et les longs engagements se font maintenant au Sherman Hotel de Chicago, au Strand ou au Zanzibar Café de New York. Cab a besoin d’un son plus « moderne » et des anciens comme Andrew Brown finissent par devenir gênants d’autant qu’on l’a vu plus haut, Brown n’est pas du genre à chercher la nouveauté et à prendre des risques.

Au printemps 1943, le départ de Walter Foots Thomas, pilier de l’orchestre (voir notre biographie) et membre depuis toujours comme Andrew, sonne le glas des anciens. Il ne reste plus alors que Lammar Wright et Brown. Fin 1944, Cab Calloway fait porter sa lettre de licenciement à Andrew Brown.

Alyn Shipton l’a expliqué dans son livre consacré à Cab Calloway : « Brown, qui avait passé l’essentiel de sa vie d’adulte, soit près de 20 ans, dans l’orchestre, le prit très mal. Danny Barker se souvient l’avoir vu trembler et crier après avoir reçu sa notice. « Ils le prirent et l’emmenèrent dans les loges. Il s’assit à une table et se mit à pleurer. Il y avait des larmes jusque sur le sol. Je n’ai jamais vu un homme pleurer comme ça » (page 175).

Brown est alors remplacé par Rudy Powell, ex-sideman de Fats Waller. Dan Morgenstern trouve que son jeu chez Fats est capable mais inconstant ; Stephen Taylor, spécialiste de  Waller, le trouve carrément mauvais. Toujours est-il que celui qui était plutôt prompt dans les petites formations se retrouve désormais dans un big band qui sonne fort avec à la tête des sax Ike Quebec !

 


Sans doute une des dernières photos dans la presse d'Andrew Brown
avec son épouse Beatrice (tous deux au 1er rang). 1950, New York.

Un cours pour musiciens de toutes anches et tous horizons.

Les larmes séchées, dès janvier 1945, Andrew Brown ouvre un cours pour musiciens à New York, The Andy Brown Studio for Reed Instruments, sur le 117W 48e rue. Soit la même adresse que le studio de Walter Foots Thomas et Cozy Cole !

Lorsque Doc Cheatham revient à New York en 1945, Andy Brown lui loue d’ailleurs à titre gracieux une des deux pièces pendant quelques mois pour qu’il puisse se refaire un peu. Cheatham eut jusqu’à 60 élèves et put alors payer son loyer à Brown. Pour prendre rendez-vous pour un cours particulier avec Andy, composez le CIrcle 5-5123 !

En mars 1956,  on annonce dans la presse qu’Eddie Barefield va reformer brièvement un orchestre 15 musiciens en choisissant parmi une trentaine d’anciens de l’orchestre de Cab parmi lesquels figurent Andy Brown, Walter Thomas, Chauncey Haughton, Hilton Jefferson, Garvin Bushell, Sam Taylor, Lammar Wright, Irving Randolph, Paul Webster, DePriest Wheeler, Tyree Glenn, Doc Cheatham et George Matthews (tb dont j’ignorais le passage chez Cab). Je n’ai pas trouvé d’autre trace dans le domaine musical pour Andy Brown après cette date.

Il meurt en 1960 à New York, à seulement 60 ans, sans doute épuisé par la vie de musicien sur les routes pendant plus de 25 ans, en ayant eu la chance de jouer dans l’un des orchestres les plus populaires de l’époque et la satisfaction d’avoir passé le relais à de nombreux musiciens à travers son école de musique.

 

 

 


Quelques titres pour apprécier Andrew BROWN :



Sources :

  • Grove Jazz Dictionary
  • Who’s Who of Jazz, John Chilton
  • All This Jazz About Jazz, Harry Dial
  • History of Jazz Tenor Saxophone, 1917-1934, Jan Evensmo
  • Site Fulton History
  • City of Gabriels: The History of Jazz in St. Louis, 1895-1973, Dennis Owsley
  • Swing Era, Gunther Schuller
  • Hi de Ho, the life of Cab Calloway, Alyn Shipton

Merci à Stephen Taylor pour ses renseignements sur Rudy Powell.


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