“The Big Rhythm Show”, London, 1952-53

 
Fin 1952, l'ami Cab séjourne à Londres depuis l'arrivée de la troupe de Porgy & Bess en octobre. L'opéra fonctionne à merveille et Henry Dawson, producteur vorace, veut profiter du succès de Cab Calloway pour monter une série de galas en Grande-Bretagne, s'appuyant sur le roi du Hi de Ho et sur d'autres vedettes du jazz américain.

Cab étant particulièrement muet sur cette série de concerts dans son autobiographie, c'est à travers les souvenirs de Mary Lou Williams que l'on parvient à obtenir des renseignements significatifs.
Convaincue par son agent qu'elle serait de retour aux USA pour Noël, Mary Lou Williams avait accepté un peu à contre-cœur de se rendre en Europe, peu certaine d'avoir de bons musiciens autour d'elle ainsi qu'un public susceptible d'apprécier ses talents de pianiste. Melody Maker, le magazine britannique du jazz l'avait annoncé comme la grande vedette du Big Rhythm Show. Mais en réalité, le producteur Dawson avait d'abord pensé à Cab Calloway, auquel il avait ajouté d'autres jazzmen, dont Mary Lou Williams.

Williams avait déjà croisé la famille Calloway sur son chemin : au début des années 1930 elle avait accompagné Blanche au sein de l'orchestre d'Andy Kirk. Ses talents d'arrangeuse avaient également poussé Cab à la contacter dès 1938-1939 : c'est ainsi qu'elle avait créé des arrangements pour l'orchestre de Calloway, sur Ghost of Love et Toadie Toddle (deux titres qui n'ont pas été enregistrés mais qui ont certainement été simplement joués dans le répertoire).

Le package avait été monté de toute pièce, embobinant Mary Lou Williams en lui faisant croire qu'il s'agissait d'une sorte de première pour une pianiste de jazz du fait de l'interdiction aux jazzmen américains de jouer sur le sol britannique depuis 30 ans (Cab Calloway, entre autres, avait déjà subi ce problème en 1934). En fait, il n'en était rien puisqu'elle était considérée aux yeux des syndicats anglais comme "artiste de variété". Les hautes aspirations de Mary Lou étaient contrariées par de telles déconvenues, accompagnées d'un contexte peu facile en Angleterre : temps pourri (elle était même restée alitée à bord du Queen Mary au trajet aller), misère économique (ses conditions de logement et de nourriture étaient moins agréables que ce qu'elle connaissait aux USA...). L'accueil du public à son arrivée lors de la réception où elle rencontra Cab Calloway l'avait pourtant un peu revigorée. Le problème était en fait plus artistique, étant donné que le programme des concerts prévus n'était pas assez "jazz" à ses yeux. Elle considérait Cab Calloway comme un entertainer de l'ancienne école, tandis qu'elle avait su évoluer vers le be-bop.

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L'article élogieux du Chicago Defender (27 décembre 1952)
 
Les critiques furent toutefois élogieuses après le premier concert du 6 décembre 1952. Il faut dire que la météo ne simplifia guère les choses : les conditions climatiques catastrophiques d'un brouillard si épais qu'il fit 160 morts en quelques jours empêchèrent beaucoup de spectateurs d'arriver à bon port. D'ailleurs, le Chicago Defender dont nous reproduisons en partie l'article du 27 décembre 1952 parle d'un véritable triomphe malgré les éléments. Sur l'affiche étaient également présents le groupe vocal The Deeps mais ce sont bel et bien Mary Lou Williams et Cab Calloway qui retinrent l'attention du public et des critiques. En tout, près de trois heures et demi de concert au cours duquel Cab chanta sans doute seulement six chansons, dont : Stormy Weather (de circonstance !), Minnie The Moocher et The Hi de Ho Man.


Le programme du 11 janvier 1953

Mary Lou Williams n'était pas satisfaite de sa situation et voulut quitter l'Angleterre après ce premier concert. Elle resta bloquée et assura donc celui du 11 janvier 1953 (dont nous présentons la couverture du programme) qui avait été organisé pour les personnes qui n'avaient pu assister au concert de décembre. Sur l'affiche avait été ajoutée la pianiste Lil Hardin ARMSTRONG, une autre jazzwoman de l'ancienne école. D'ailleurs, les deux femmes - sans se détester ouvertement - avaient une vision radicalement différente du jazz.

Ce soir-là, le programme se déroula ainsi :
  • Clifford Davis, critique au Daily Mirror, était le présentateur
  • L'orchestre britannique de Denny BOYCE (d'ailleurs toujours en activité de nos jours) jouait les enchaînements et accompagnait les vedettes vocales
  • The King Pins, un groupe vocal éphémère
  • Le Quintet du pianiste anglais Norman Burns, dans le style de George Shearing
  • La pianiste Lil Armstrong, présentée comme venant pour la première fois en Angleterre
  • Le quartet de l'organiste Harold Smart
  • Cab CALLOWAY, accompagné au piano par Alan Clare et l'orchestre de Denny Boyce.
  • Entracte
  • L'orchestre de Denny Boyce
  • Joyce Clark et les King Pins
  • Leslie Jiver Hutchinson, trompettiste à la tête de sa formation formée pour accompagner Mary Lou Williams durant ses concerts en Angleterre
  • Mary Lou Williams
  • Le chanteur Dick James, alors célèbre chanteur avant d'être le producteur qui signa Elton John en 1967
  • Final avec toute la troupe.
Malgré ses ressentiments, il est intéressant de noter que Mary Lou Williams resta deux ans en Europe, suite à ces concerts, portée par le soutien de ses fans, des critiques, des musiciens locaux comme des Américains présents en France ou en Hollande.
Quant à Cab Calloway, ce genre de gala devaient suffisamment lui rapporter pour peu de travail et d'intérêt. Ce devaient être une sorte de récréation pour lui entre deux représentations de Porgy and Bess !



Pour aller plus loin sur le sujet :
Mary Lou Williams - Soul on Soul, exposition numérique sur le site de Rutgers Academy
The London Sessions, CD de Mary Lou Williams, enregistré entre janvier 1953 et 1954.
Soul on Soul, The Life and Music of Mary Lou Williams, Tammy Kernodle

 

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