Claude B. 'Wiggy'JONES
(11 février 1901 à Boley, OK - 17 janvier 1962 en mer, à bord du SS United States)
Trombone dans l'orchestre de Cab de 1934 à 1940, puis en 1943
Voici la seconde partie de la biographie consacrée à ce fabuleux instrumentiste oublié par beaucoup aujourd'hui mais admiré par tous à son époque. Claude Jones était un musicien efficace et délicat, dont nous avons abordé l'enfance et la carrière jusqu'à son arrivée chez Cab Calloway, fin 1934. Nous allons retrouver cet amateur de bonnes choses et de musique pour évoquer ses années passées chez Cab, mais aussi avec Ellington, Roll Morton et d'autres mais aussi la fin de sa vie sur un paquebot américain en route vers l'Europe. Le génial tromboniste métisse était alors devenu un steward très british...
Dans l'orchestre de Calloway :
Claude Jones (2e rang) entre Keg Johnson et le jeune trublion Dizzy Gillespie.
Chez Cab : argent, bière et un solo ou deux.
La vie de Claude Jones au sein de l'orchestre de Cab ressemble à celle de la plupart des autres musiciens : beaucoup de travail, de déplacements, mais de routine également. Claude Jones l'a dit lui-même : "J'ai gagné plus d'argent et bu plus de bière dans l'uniforme de Calloway qu'avec aucun autre orchestre."
On le retrouve également dans l'équipe de base-ball de la troupe (voir
notre article à ce sujet). Mais sa force était ailleurs. En effet, dans
The World of Swing, Milt Hinton explique que Cab Calloway tenait compte de l’avis de musiciens tels que Lammar Wright, Keg Johnson et Claude Jones,
« parce qu’il savait que c’étaient de bons gars, qui avaient travaillé avec Fletcher Henderson ou dans d’autres orchestres renommés. (…) Claude Jones était malheureux parce qu’il n’avait rien à jouer. » Même constat d'ailleurs pour Keg Johnson et Ben Webster (voir
notre article sur sa période chez Cab).
Il semblerait même que Claude Jones et Keg Johnson aient influencé Cab dans l’idée de garder Milt Hinton dans l’orchestre (en 1934 déjà, Claude avait insisté auprès de Fletcher Henderson pour qu'il choisisse Ben Webster afin de remplacer Coleman Hawkins).
Dans ce bel esprit de camaraderie (assez éloigné de ce que Claude vivra quelques années plus tard chez Ellington), Claude Jones effectivement s'ennuie : pas ou prou de solos et les shows du Cotton Club qui se suivent et se ressemblent chaque soir. Il y a pourtant quelques moments forts comme celui où Claude enregistra un duo avec Cab sur Jess's Natu'lly Lazy (vous pourrez l'écouter intégralement à la fin de cet article). Un excellent souvenir qui ne fut guère remarqué par la critique, le public et les amateurs et/ou historiens du jazz. A titre personnel, il me fait penser à ce fameux duo entre Jack Teagarden (tb) et Louis Armstrong, Lazy Bones (1950).
Dans un programme de l'orchestre datant de 1935, Claude Jones est présenté de cette manière :
"Premier trombone solo. Né à Boley, Oklahoma. A joué dans l'orchestre de son lycée. Trois années à Wilberforce University, Xenia, Ohio ; a joué dans la fanfare et l'orchestre de l'université. Famille musicale - sa mère âgée de 65 ans joue toujours du piano. Aime la musique mais préfère toujours un bonne blague."
On retrouve même Claude Jones au milieu de 3 pages de publicité pour les cuivres Conn, parue dans le magazine Metronome de novembre 1936.
Dans Hi de Ho (1937), Claude Jones tient un superbe solo
épaulé par son copain Keg Johnson (trombone... à la guitare !)
- Cliquez sur l'image pour voir le film : solo à partir de 9:20 -
Lors des tournées dans le Sud des Etats-Unis où régnait la ségrégation, Doc Cheatham se rappelle dans son autobiographie que Claude Jones pouvait aisément passer pour un Blanc. Ce qui arriva une fois, c’est que Lammar WRIGHT, trompettiste à la peau d’ébène, aperçut Claude assis au comptoir d'un restaurant blanc, croyant que lui aussi pouvait y déjeuner. A peine assis à côté de Claude, tous les 2 se firent virés manu militari. Ce qui mit Jones très en colère : il n’avait pas terminé son petit déjeuner !
"What's wrong with Cab?"
C'est ainsi que le journal
Chicago Defender titra le 3 février 1940, lorsque le monde du jazz fut secoué par ces départs groupés de l'orchestre de Calloway. Sont annoncés comme renvoyés : trois trombones Claude Jones,
De Priest Wheeler, Keg Johnson ; le saxophoniste
Chauncey Haughton et le trompettiste Lammar Wright.
En fait, Johnson et Wright ne quittèrent pas l'orchestre, loin de là ! Ils restèrent en effet au côté de Calloway jusqu'à la fin de son big band, en 1949.
Musicien |
Parti chez |
Remplacé par |
Venant de |
Claude Jones (tb) |
C. Hawkins |
Quentin Jackson |
Don Redman |
De Priest Wheeler (tb) |
? |
Tyree Glenn |
Benny Carter |
Ch. Haughton (sax) |
E. Fitzgerald |
Hilton Jefferson |
E. Fitzgerald |
L'excuse trouvée pour Claude Jones aurait été ses retards répétés (insupportables chez Calloway,
comme en témoigne Garvin Bushell). D'autres évoquent son goût prononcé pour la dive bouteille...
Le journaliste du
Chicago Defender explique d'ailleurs que l'inquiétude et la mauvaise ambiance régnent alors dans l'orchestre puisque le batteur Cozy COLE parlait même de partir !
Ce que l'on sait tous maintenant, c'est que Cab voulait donner une nouvelle âme à son orchestre et que cela passait par Chu BERRY, son sax ténor, qui était devenu le protégé et la vedette des instrumentistes. Il faut dire que sa réputation (et son talent) le mettait au niveau des plus grands du moment, comme Coleman Hawkins et Ben Webster. On sait également que Cab Calloway avait déjà approché depuis un certain temps le tromboniste (et beau-frère de Claude) Quentin JACKSON qui avait refusé ses avances 4 fois ! Comment cela a-t-il été vécu dans la famille Jones/Jackson ? Personne ne s'en est jamais plaint en public. Sur les changements qui furent opérés entre 1937 et 1940, lisez donc
notre article sur Morris WHITE, le guitariste qui fut viré en 1939 pour laisser place à Danny BARKER.
Paradoxalement, le Dictionnaire du jazz précise que c’est durant sa période chez Calloway que Claude Jones enregistra trois sessions historiques… mais pas avec Cab : deux avec Jelly Roll Morton (1939 et 40) et la troisième avec Louis Armstrong et Sidney Bechet (1940). Bon, pour la dernière, il se trompe, c'était APRES.
Etonnante coïncidence : la seule et unique photo de la session historique
du 14 septembre 1939,
prise par Charles Peterson, montre tous les musiciens...
sauf Claude Jones dont on ne voit que la coulisse !
Avec Jelly Roll Morton, le 14 septembre 1939
Organisée par Stephen W. Smith et Hugues Panassié pour le compte de RCA Victor afin de relancer la carrière de Roll Morton, la session du 14 septembre 1939 est un moment fort de l'histoire du jazz (elle semble d'ailleurs être la séance préférée de Claude Jones). Il s'agissait de rassembler autour du célèbre pianiste, alors oublié du public, quelques-uns des musiciens qui pouvaient valoriser au mieux son talent : Sidney Bechet (soprano sax), Albert Nicholas (clarinette), Albert Caldwell (tenor sax), Sidney de Paris (trompette), Wellman Braud (contrebasse) Lawrence Lucie (guitare) et bien entendu Claude Jones. Les instrumentistes furent placés sur des estrades à différentes hauteurs. Bechet, qui n'arriva pas à temps pour répéter les arrangements très écrits de Roll Morton, retrouva son vieil ennemi du Nick's Club Zutty Singleton. Quant à Sidney de Paris, il se montra fort désagréable durant toute la séance ! La session débuta par Didn't He Ramble, un classique de la Nouvelle-Orléans, entonné généralement à la fin des enterrements afin de relativiser les valeurs du défunt. L'ambiance était plutôt joyeuse dans le studio et Claude Jones fut désigné pour jouer le rôle du prêcheur : "Ashes to ashes and dust to dust, If the women don't get you, the whiskey must." Deux prises existent de ce morceau où l'on entend notamment Jones prononcer "liquor", plus généraliste...
Sur les 4 titres enregistrés, on entend à satiété notre ami Claude Jones, notamment dans un duo avec Sidney Bechet sur Winin' Boy, que Morton désignait comme un "pretty refrain". Pourtant, c'est sur I Though I Heard Buddy Bolden Say que Claude Jones fait sa meilleure prestation de toute la séance.
Claude Jones rejouera avec Jelly Roll Morton le 30 janvier 1940, soit quelques jours juste avant ou juste après avoir été renvoyé de chez Cab Calloway. Cause ou conséquence ? Il sera parmi les Jelly Roll Morton's Hot Seven : Henry Red Allen (tp), Albert Nicholas (cl), Eddie Williams (as), Wellman Braud (b), Zutty Singleton (d) et Ferdinand au piano et vocals. A noter : il s'agit de l'ultime session enregistrée par Roll Morton.
Le duel Armstrong - Bechet du 27 mai 1940
Le 27 mai 1940, Claude Jones rejoignit en studio Louis Armstrong, Sidney Bechet, Bernard Addison (g), Wellman Braud (b), Zutty Singleton (dms) pour une séance Brunswick à New York. Il s'agissait pour la maison Decca de donner une suite à l'album Chicago-style qu'elle venait de produire. Le style New-Orleans allait être mis à l'honneur. Drôle d'idée finalement d'adjoindre Claude Jones à la troupe, lui qui n'était pas vraiment néo-orléanais et n'en avait jamais vraiment revendiqué l'inspiration (comme Addison d'ailleurs) : il dit même être le seul à ne pas connaître les morceaux qui allaient être joués ! Mais Louis Armstrong sut le mettre en confiance. Sur les quatre titres enregistrés ce jour-là, Claude Jones est présent sur trois. Si les historiens du jazz et solographes estiment que la session fut historique (même si les questions d'égo d'Armstrong et Bechet donnèrent plus l'impression d'un bataille que d'une vraie jam session. Bechet, qui n'était pas aussi connu que Satchmo, était vu comme un ennemi à abattre par Armstrong), Claude Jones garde un souvenir mitigé de sa prestation. En effet, même s'il a adoré l'ambiance, ce sont les conditions de l'enregistrement qui le contrarièrent et nuisirent à son solo : "Louis et Bechet étaient en pleine forme ce jour-là, mais le directeur technique m'a vraiment énervé. Il n'arrêtait pas de venir avec son équipement et de me crier 'Donne de la coulisse Jones, plus de coulisse' (NDLR : tailgate en anglais, c'est-à-dire le style plus primitif du jazz trombone). Du coup j'ai raté mon solo sur 'Down in Honky Tonk Town'." Chilton, dans sa biographie de Bechet, parlera toutefois de "glissandos pleins d'espoir" à son propos.
Claude Jones et un vieil ami : Coleman Hawkins
(photo tirée de John Chilton, Song of The Hawk)
Entre Cab et Duke : Hawk, Zutty, Joe, Fletcher
Revenons au départ de Claude Jones de l'orchestre de Cab. Annoncé partant pour l'orchestre d'Ella FITZGERALD, en fait, Claude Jones rejoignit le groupe de
Coleman HAWKINS, en même temps que Billy Cato (tb) et Ernie Powell (tp). Leur engagement était au
Golden Gate Ballroom, mais les affaires se dégradèrent rapidement dès lors que la salle perdit sa licence pour vendre de la bière aux clients. Le contrat fut "suspendu" jusqu'à ce que la boîte puisse rouvrir. N'étant plus payé, Claude Jones rejoignit le groupe de
Zutty SINGLETON au
Nick's Club de Greenwich Village. Les affaires reprirent et l'orchestre de Coleman Hawkins (après que ce dernier a refusé d'intégrer le big band de Basie, au côté de Lester Young) s'installa au
Savoy Ballroom en juillet 1940. Le succès était au rendez-vous et la presse remarqua la section trombone :
"Je crois fermement que le trio de trombones formé par Claude Jones, Sandy Williams and Billy Cato est l'un des meilleurs qu'il soit donné d'entendre actuellement." (
Hot Record Society Rag, cité par J. Chilton dans
The Song of the Hawk, p. 176). Mais Hawkins a toujours mieux su s'occuper des femmes que du business et le groupe ne connut pas la gloire escomptée. Pourtant,
NBC retransmit trois fois par semaine et tout l'été les concerts d'Hawkins. Parmi ceux qui ont été conservés, on remarque un solo de Claude Jones sur
California Here I Come, modèle de "douceur brillante" (Chilton, p. 179).
A l'automne, c'est le groupe du pianiste
Joe SULLIVAN que rejoignit Claude Jones. Mais l'attirance vers la musique de Fletcher HENDERSON était plus forte. En 1941 et jusqu'en 1942, Claude Jones resta avec l'orchestre pourtant sur le déclin. Fletcher avait beau avoir procuré à Benny Goodman ses meilleurs arrangements en 1939, il avait beau être un pianiste hors pair, il avait beau aligner les meilleurs instrumentistes, le succès n'était pas là.
Cab au milieu de sa section trombones :
Keg Johnson, Claude Jones, Tyree Glenn, Quentin Jackson
Retour chez Cab pour Stormy Weather
A l'occasion du tournage de
Stormy Weather à Hollywood entre janvier et mai 1943, Cab Calloway va rappeler Claude Jones au pupitre. Je ne connais pas les circonstances qui ont amené le tromboniste à être rappelé par son ancien employé. Peut-être doit-on cela à
Benny CARTER qui était en charge de la direction musicale du film et qui était un vieil ami de Jones... Toujours est-il que l'on aperçoit très bien Claude Jones, notamment lors de la fameuse scène finale sur
Jumpin' Jive en compagnie des Nicholas Brothers. La section trombone est superbe et Claude Jones y est notamment entouré de son beau-frère Quentin Jackson mais aussi de Tyree Glenn et Keg Johnson. Je ne résiste pas au plaisir de vous laisser entrevoir la belle perruque de Claude Jones en action, au rythme des folles claquettes des frères dansants...
L'orchestre en 1943 en tournée, avant ou après le tournage de Stormy Weather.
Claude Jones est le 3e trombone en partant de la droite.
Du trombone à la saucisse
En 1941, entre deux jobs pour des orchestres (Benny Carter, Don Redman), Claude Jones voulut diversifier ses sources de revenus, commençant déjà sans doute à se lasser du monde du jazz et de son rythme impitoyable. Il lança donc sa petite affaire de fabrique et vente de saucisses. Malheureusement, l'entrée en guerre des Etats-Unis le 7 décembre et les restrictions économiques inhérentes et surtout l'embargo sur les épices en provenance du Japon stoppèrent l'élan de son étonnant projet... Tant mieux pour le jazz qui gagna là quelques années encore en sa compagnie !
Wilbur de Paris, Claude Jones (sur la 3e chaise !), Joe Nanton et Lawrence Brown
dans l'orchestre de Duke Ellington
(photo Duncan P. Schiedt in Duke's Bones de Kurt Dietrich)
Chez Duke, entre deux chaises et sans piston.
Après avoir enregistré avec le jeune et très boppeur orchestre de Billy ECKSTINE en avril, Claude Jones est convaincu par Ellington de le rejoindre durant l'été 1944, afin de remplacer Juan TIZOL qui venait de partir. Ce fut le premier grand changement dans la section historique de Nanton, Tizol et Laurence Brown. Claude Jones y restera jusqu'en 1948. Il va alors participer à des enregistrements historiques, tels que Black Brown and Beige. Mais Mario Scheeberger n'a trouvé qu'un seul solo remarquable de Claude Jones chez Duke sur Tootin' Through The Roof, enregistré lors d'un broadcast en juin 1945. C'est tout de même peu à se mettre sous la coulisse ! Et pourtant, comme l'indique le Dictionnaire du Jazz, « surtout Influencé par Jimmy Harrison avec qui il joua chez Fletcher Henderson, Claude Jones est toutefois plus intimiste et néanmoins volubile. Le son est ouaté, assez comparable à celui de Tommy Dorsey ou de Laurence Brown. Un swing délicat lazy sourd de solos, toujours intrigants. Sa fabuleuse technique qui préfigure le jeu des trombonistes bebop, lui permet de jouer avec tous les âges du jazz classique, du dixieland aux suites ellingtoniennes. »
Alors, d'où vient cette absence de solos ? Sans doute au fait que Duke Ellington voulait que Claude Jones utilise le trombone à pistons (qui n'était pas son instrument de base, mais dont la techique est identique à celle de la trompette, premier instrument de Claude Jones !) comme Tizol. D'ailleurs, en 1954, quand Tizol sera à nouveau remplacé, John Sanders (autre slide trombone) dut s'adapter à l'instrument de son prédécesseur et apprendre à en jouer. Duke voulait donc utiliser Claude Jones avec des intentions particulières : sur un trombone à pistons, l'attaque est plus rapide et le son plus velouté.
Dietrich dans son fabuleux ouvrage Duke's Bones explique que malgré ses trois ans et demi chez le Duke, Claude Jones ne fut jamais un authentique "Ellingtonnien". Il explique alors le fameux système des "chaises" de la section trombone d'Ellington. Je me permets de le citer intégralement afin d'éviter toute erreur : "A l'inverse des autres orchestres, où la désignation des chaises implique une sorte de hiérarchie au sein de la section, dans celui d'Ellington, les chaises désignaient la fonction. La première chaise, occupée pendant de nombreuses années par Lawrence Brown, incluait les parties de lead trombone (premier trombone), ainsi que les solos originellement écrits pour Brown. Joe Nanton mit en place ce qui devint célèbre sous le nom de 'troisième chaise' où le spécialiste du trombone bouché tint sa place pendant plusieurs années. Tizol avait été jusqu'alors l'unique occupant de ce qui fut appelé la 'deuxième' chaise. Les parties avaient toutes été écrites pour Tizol, y compris les lignes mélodiques de la plupart de ses propres compositions. N'étant pas un soliste de jazz, il n'avait pas d'espaces pour des solos improvisés. Le peu qu'il avait était complètement écrit. (...) Les exemples enregistrés qui montrent Claude Jones sont des longs solos sur Come Sunday, entendu au concert de Carnegie Hall de 1944 et un chorus sur Bakiff, composé par Tizol, lors du concert de Carnegie Hall en 1947" (page 104).
Enfin, les vétérans de l'orchestre voyaient certainement d'un mauvais oeil le fait que des "petits nouveaux" bénéficient de solos les mettant en vedette. Ellington prenant soin de ses troupes veilla sans doute à ne pas donner trop d'espace à Claude Jones, sans doute précédé par sa réputation !
Dietrich estime que le fait que Claude Jones ait été relativement inactif avant d'entrer chez Ellington a sans doute pesé dans son peu de volonté de faire des solos. Dietrich ajoute que Quentin Jackson (le beau-frère, rappelez-vous) estimait que Claude Jones n'était pas satisfait de la situation. D'autant plus qu'il explique
"qu'il y avait de la jalousie entre lui [Jones] et Lawrence [Brown]." Pour conclure, apparemment les problèmes d'alcool de Claude Jones n'arrangèrent rien dans la motivation des deux partis. Sur ses problèmes liés à l'alcool, Claude Jones reste discret mais se remémore avec humour qu'à cette époque, Ellington devait subir les affres de l'alcoolisme du batteur Sonny Greer au point de toujours prévoir un batteur de rechange pour la seconde partie de soirée. Un soir même, Sonny s'écroula dans ses cymbales et tambours et tomba aux pieds de la section des cuivres !
Durant son séjour chez Ellington, Jones s'accorda quelques escapades, notamment du côté d'Earl BOSTIC (as) en décembre 1945 où il retrouve des anciens de chez Cab : Eddie Barefield,
Walter Foots Thomas et Cozy Cole.
Quand il partit en octobre 1948, Claude Jones fut remplacé par... son beau-frère Quentin Jackson.
Claude Jones retrouve le chemin des studios en mai 1949 dans l'orchestre de Sy OLIVER. Il continue de mener à temps partiel sa vie de musicien : volonté délibérée ou chômage ?
En 1951, Claude revint brièvement dans l'orchestre d'Ellington. Alors, au moment où Britt Woodman remplaça Lawrence Brown, Juan Tizol choisit de revenir.
Retrouvant un peu de travail, Claude Jones enregistre avec l'orchestre du vocaliste Big John Greer le 10 avril 1952, où il retrouve Irving Randolph (tp) et Tyree Glenn (tb) ex-Callowayiens. Il est également au côté de Jimmy 'Babyface' Lewis en juin de la même année. Il semble que l'ultime session enregistrée de Claude Jones soit celle du 2 octobre 1952 dans l'orchestre de son vieil ami Benny CARTER qui accompagne la chanteuse Savannah Churchill (il y retrouvera d'ailleurs une dernière fois ses compagnons de Cab : Doc Cheatham, Tyree Glenn et Eddie Barefield). Ensuite, Claude Jones quitta définitivement le monde du jazz.
Retraité du jazz
Homme de jazz, Claude Jones avait tout de même fini par se lasser de l'univers du show business et les dernières expériences n'avaient guère contribué à le convaincre de rester. Après de 30 ans de bons et joyeux services, Claude Jones prit définitivement sa retraite du jazz. Interrogé par David Ives sur les raisons de son départ, il expliqua que le rythme de vie était trop difficile à suivre et que trop de ses camarades avaient craqué sous a pression : "Je me rappelle de Charlie Christian, qui jouait nuit et jour. En fait, il jouait tellement qu'il restait sans dormir des semaines entières. C'est la tuberculose qui l'eut pour de bon."
A bord du navire SS United States
Après avoir quitté le monde du jazz, Claude Jones partit voyager un peu partout dans le monde entier, avant de se décider à devenir steward à bord du tout nouveau paquebot luxueux, le
SS United States. Là, il disait qu'il aimait la vie bien plus que celle de ses années musicales.
Tous les quinze jours, le somptueux navire voguait vers l'Europe puis repartait pour New York, son port d'attache. Lui, le vieil indien au sang métissé s'était "anglicisé", préférant le thé au café, ayant pris goût pour les costumes so british sans oublier la bière Watney's !
Le magazine de jazz allemand, Schlagzetug, de janvier 1960 rapporte la rencontre fortuite à bord du SS United States : "Duke Ellington eut une bonne surprise en plein océan. Alors qu'il dînait dans le bateau l'emmenant pour sa tournée européenne, il fut servi par un homme de couleur. Tous deux furent surpris par la rencontre. Le serveur était Claude Jones, qui avait été trombone chez Ellington quelques années plus tôt."
Claude Jones à Southampton, écoutant pour la première fois
la session enregistrée avec Armstrong 20 ans plus tôt.
A quai, à Southampton
Homme discret s'il en est, ce n'est qu'au bout de 7 années d'allers et retours entre New York et l'Europe qu'un des disquaires de Southampton découvrit qui était vraiment cet aimable steward... Le disquaire en question, Don Hurley, faisait partie d'une bande de copains qui jouaient beaucoup de jazz ensemble, avaient leur propre formation et écoutaient beaucoup de jazz. Timide au début, Claude Jones prit part progressivement à la vie musicale locale, assistant aux sessions d'enregistrements, jouant même de temps à autre avec les musiciens admiratifs. Car s'il ne se séparait pas de son trombone, jouant de temps à autre lors de soirées pendant les croisières, son instrument restait toujours à bord du SS United States. Il était pourtant toujours heureux de parler de jazz avec qui voulait l'entendre. Le journaliste britannique du Southern Daily Echo John Edgar Mann avait même commencé à recueillir ce qui devait devenir l'autobiographie de Claude Jones. Grâce à lui, nous avons pu apprendre de nombreux détails intéressant ssur les premières comme les dernières années de son existence et qui furent publiés dans un article en mars 1962.
Son dernier voyage eut lieu en janvier 1962. Le SS United States partit de New York pour Southampton. Le 17 janvier, Claude Jones eut un grave malaise et mourut peu de temps après. La nouvelle de son décès ne fut rendue publique que plusieurs semaines ensuite.
Albert J. McCarthy décrit parfaitement le style de Claude Jones en conclusion de l'article de David Ives paru en 1962 : "Jones n'était pas un grand innovateur et sa stature comme tromboniste n'égalait pas celle de Dickie Wells ou de J.C. Higginbotham par exemple. Toutefois, il était un musicien fin avec un style propre à lui, une technique et une capacité claire à pouvoir prendre des solos de première catégorie. Il variait son phrasé avec ampleur, utilisant souvent un vibrato rapide; et son ton était plein."
En-tête de l'article consacré à Claude Jones
dans Jazz Monthly, mars 1962
Solos remarquables pour cette période :
Avec Cab Calloway :
Avec Ferdinand Roll Morton :
Avec Louis Armstrong et Sidney Bechet :
Avec Coleman Hawkins :
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California Here I Come (juillet 1940, NBC broadcast)
Avec Duke Ellington :
-
Come Sunday (décembre 1944, Live au Carnegie Hall NYC)
-
Things Ain't What They Used to Be (17/01/1945, enregistré en triplex avec L. Armstrong à La Nouvelle-Orleans et B. Goodman à New York).
-
Fugue-A-Ditty (janvier 1946, Live au Carnegie Hall NYC), en compagnie de Jimmy Hamilton (cl), Harry Carney (tp)
-
Bakiff (décembre 1947, Live au Carnegie Hall NYC)
Avec Earl Bostic :
-
All On et Hurricane Blue (12 novembre 1945, NYC)
Sources bibliographiques pour la seconde partie :
-
Bob Zieff, Claude Jones in The New Grove Dictionary of Jazz
-
Kurt Dietrich, Duke's Bones, 1995
-
Stanley Dance, The World of Swing
-
Gunther Schuller, L’Histoire du Jazz, vol.1 : Le premier Jazz
-
Dickie Wells, The Night People
-
John E. Mann : "Claude Jones: Fragment of an autobiography", Jazz Monthly mars 1962
-
David Ives, "Claude Jones", Jazz Journal, juin 1962
-
David Berger, Braggin' In Brass
-
John Chilton, Song of The Hawk
-
John Chilton, Sidney Bechet
-
Charles Peterson, Swing Era
Cet article n'aurait pu voir le jour sans l'aide et la générosité de Jean-Pierre Hartmann, tromboniste et ami.
Un immense merci à Mario Schneeberger pour son travail sur la solographie de Claude Jones qu'il a généreusement achevée à l'occasion de cet article et mise à ma disposition.
Merci également à Yvan Fournier dont les conseils et les inépuisables ressources me sont toujours précieux.