
Claude B. 'Wiggy'JONES
(11 février 1901 à Boley, OK - 17 janvier 1962 en mer, à bord du SS United States)
Trombone dans l'orchestre de Cab de 1934 à 1940, puis en 1943

Chez Cab : argent, bière et un solo ou deux.
"Premier trombone solo. Né à Boley, Oklahoma. A joué dans l'orchestre de son lycée. Trois années à Wilberforce University, Xenia, Ohio ; a joué dans la fanfare et l'orchestre de l'université. Famille musicale - sa mère âgée de 65 ans joue toujours du piano. Aime la musique mais préfère toujours un bonne blague."
Dans Hi de Ho (1937), Claude Jones tient un superbe solo
épaulé par son copain Keg Johnson (trombone... à la guitare !)
- Cliquez sur l'image pour voir le film : solo à partir de 9:20 -
Lors des tournées dans le Sud des Etats-Unis où régnait la ségrégation, Doc Cheatham se rappelle dans son autobiographie que Claude Jones pouvait aisément passer pour un Blanc. Ce qui arriva une fois, c’est que Lammar WRIGHT, trompettiste à la peau d’ébène, aperçut Claude assis au comptoir d'un restaurant blanc, croyant que lui aussi pouvait y déjeuner. A peine assis à côté de Claude, tous les 2 se firent virés manu militari. Ce qui mit Jones très en colère : il n’avait pas terminé son petit déjeuner !

C'est ainsi que le journal Chicago Defender titra le 3 février 1940, lorsque le monde du jazz fut secoué par ces départs groupés de l'orchestre de Calloway. Sont annoncés comme renvoyés : trois trombones Claude Jones, De Priest Wheeler, Keg Johnson ; le saxophoniste Chauncey Haughton et le trompettiste Lammar Wright.
En fait, Johnson et Wright ne quittèrent pas l'orchestre, loin de là ! Ils restèrent en effet au côté de Calloway jusqu'à la fin de son big band, en 1949.
| Musicien | Parti chez | Remplacé par | Venant de |
| Claude Jones (tb) | C. Hawkins | Quentin Jackson | Don Redman |
| De Priest Wheeler (tb) | ? | Tyree Glenn | Benny Carter |
| Ch. Haughton (sax) | E. Fitzgerald | Hilton Jefferson | E. Fitzgerald |
L'excuse trouvée pour Claude Jones aurait été ses retards répétés (insupportables chez Calloway, comme en témoigne Garvin Bushell). D'autres évoquent son goût prononcé pour la dive bouteille...Le journaliste du Chicago Defender explique d'ailleurs que l'inquiétude et la mauvaise ambiance régnent alors dans l'orchestre puisque le batteur Cozy COLE parlait même de partir !
Ce que l'on sait tous maintenant, c'est que Cab voulait donner une nouvelle âme à son orchestre et que cela passait par Chu BERRY, son sax ténor, qui était devenu le protégé et la vedette des instrumentistes. Il faut dire que sa réputation (et son talent) le mettait au niveau des plus grands du moment, comme Coleman Hawkins et Ben Webster. On sait également que Cab Calloway avait déjà approché depuis un certain temps le tromboniste (et beau-frère de Claude) Quentin JACKSON qui avait refusé ses avances 4 fois ! Comment cela a-t-il été vécu dans la famille Jones/Jackson ? Personne ne s'en est jamais plaint en public. Sur les changements qui furent opérés entre 1937 et 1940, lisez donc notre article sur Morris WHITE, le guitariste qui fut viré en 1939 pour laisser place à Danny BARKER.

Etonnante coïncidence : la seule et unique photo de la session historique
du 14 septembre 1939,
prise par Charles Peterson, montre tous les musiciens...
sauf Claude Jones dont on ne voit que la coulisse !
Avec Jelly Roll Morton, le 14 septembre 1939
Organisée par Stephen W. Smith et Hugues Panassié pour le compte de RCA Victor afin de relancer la carrière de Roll Morton, la session du 14 septembre 1939 est un moment fort de l'histoire du jazz (elle semble d'ailleurs être la séance préférée de Claude Jones). Il s'agissait de rassembler autour du célèbre pianiste, alors oublié du public, quelques-uns des musiciens qui pouvaient valoriser au mieux son talent : Sidney Bechet (soprano sax), Albert Nicholas (clarinette), Albert Caldwell (tenor sax), Sidney de Paris (trompette), Wellman Braud (contrebasse) Lawrence Lucie (guitare) et bien entendu Claude Jones. Les instrumentistes furent placés sur des estrades à différentes hauteurs. Bechet, qui n'arriva pas à temps pour répéter les arrangements très écrits de Roll Morton, retrouva son vieil ennemi du Nick's Club Zutty Singleton. Quant à Sidney de Paris, il se montra fort désagréable durant toute la séance ! La session débuta par Didn't He Ramble, un classique de la Nouvelle-Orléans, entonné généralement à la fin des enterrements afin de relativiser les valeurs du défunt. L'ambiance était plutôt joyeuse dans le studio et Claude Jones fut désigné pour jouer le rôle du prêcheur : "Ashes to ashes and dust to dust, If the women don't get you, the whiskey must." Deux prises existent de ce morceau où l'on entend notamment Jones prononcer "liquor", plus généraliste...
Sur les 4 titres enregistrés, on entend à satiété notre ami Claude Jones, notamment dans un duo avec Sidney Bechet sur Winin' Boy, que Morton désignait comme un "pretty refrain". Pourtant, c'est sur I Though I Heard Buddy Bolden Say que Claude Jones fait sa meilleure prestation de toute la séance.
Claude Jones rejouera avec Jelly Roll Morton le 30 janvier 1940, soit quelques jours juste avant ou juste après avoir été renvoyé de chez Cab Calloway. Cause ou conséquence ? Il sera parmi les Jelly Roll Morton's Hot Seven : Henry Red Allen (tp), Albert Nicholas (cl), Eddie Williams (as), Wellman Braud (b), Zutty Singleton (d) et Ferdinand au piano et vocals. A noter : il s'agit de l'ultime session enregistrée par Roll Morton.

Le duel Armstrong - Bechet du 27 mai 1940
Le 27 mai 1940, Claude Jones rejoignit en studio Louis Armstrong, Sidney Bechet, Bernard Addison (g), Wellman Braud (b), Zutty Singleton (dms) pour une séance Brunswick à New York. Il s'agissait pour la maison Decca de donner une suite à l'album Chicago-style qu'elle venait de produire. Le style New-Orleans allait être mis à l'honneur. Drôle d'idée finalement d'adjoindre Claude Jones à la troupe, lui qui n'était pas vraiment néo-orléanais et n'en avait jamais vraiment revendiqué l'inspiration (comme Addison d'ailleurs) : il dit même être le seul à ne pas connaître les morceaux qui allaient être joués ! Mais Louis Armstrong sut le mettre en confiance. Sur les quatre titres enregistrés ce jour-là, Claude Jones est présent sur trois. Si les historiens du jazz et solographes estiment que la session fut historique (même si les questions d'égo d'Armstrong et Bechet donnèrent plus l'impression d'un bataille que d'une vraie jam session. Bechet, qui n'était pas aussi connu que Satchmo, était vu comme un ennemi à abattre par Armstrong), Claude Jones garde un souvenir mitigé de sa prestation. En effet, même s'il a adoré l'ambiance, ce sont les conditions de l'enregistrement qui le contrarièrent et nuisirent à son solo : "Louis et Bechet étaient en pleine forme ce jour-là, mais le directeur technique m'a vraiment énervé. Il n'arrêtait pas de venir avec son équipement et de me crier 'Donne de la coulisse Jones, plus de coulisse' (NDLR : tailgate en anglais, c'est-à-dire le style plus primitif du jazz trombone). Du coup j'ai raté mon solo sur 'Down in Honky Tonk Town'." Chilton, dans sa biographie de Bechet, parlera toutefois de "glissandos pleins d'espoir" à son propos.

Claude Jones et un vieil ami : Coleman Hawkins
(photo tirée de John Chilton, Song of The Hawk)

Cab au milieu de sa section trombones :
Keg Johnson, Claude Jones, Tyree Glenn, Quentin Jackson
Retour chez Cab pour Stormy Weather

L'orchestre en 1943 en tournée, avant ou après le tournage de Stormy Weather.
Claude Jones est le 3e trombone en partant de la droite.

Wilbur de Paris, Claude Jones (sur la 3e chaise !), Joe Nanton et Lawrence Brown
dans l'orchestre de Duke Ellington
(photo Duncan P. Schiedt in Duke's Bones de Kurt Dietrich)
Chez Duke, entre deux chaises et sans piston.
Durant son séjour chez Ellington, Jones s'accorda quelques escapades, notamment du côté d'Earl BOSTIC (as) en décembre 1945 où il retrouve des anciens de chez Cab : Eddie Barefield, Walter Foots Thomas et Cozy Cole.
Claude Jones retrouve le chemin des studios en mai 1949 dans l'orchestre de Sy OLIVER. Il continue de mener à temps partiel sa vie de musicien : volonté délibérée ou chômage ?
Retrouvant un peu de travail, Claude Jones enregistre avec l'orchestre du vocaliste Big John Greer le 10 avril 1952, où il retrouve Irving Randolph (tp) et Tyree Glenn (tb) ex-Callowayiens. Il est également au côté de Jimmy 'Babyface' Lewis en juin de la même année. Il semble que l'ultime session enregistrée de Claude Jones soit celle du 2 octobre 1952 dans l'orchestre de son vieil ami Benny CARTER qui accompagne la chanteuse Savannah Churchill (il y retrouvera d'ailleurs une dernière fois ses compagnons de Cab : Doc Cheatham, Tyree Glenn et Eddie Barefield). Ensuite, Claude Jones quitta définitivement le monde du jazz.
Retraité du jazz
Homme de jazz, Claude Jones avait tout de même fini par se lasser de l'univers du show business et les dernières expériences n'avaient guère contribué à le convaincre de rester. Après de 30 ans de bons et joyeux services, Claude Jones prit définitivement sa retraite du jazz. Interrogé par David Ives sur les raisons de son départ, il expliqua que le rythme de vie était trop difficile à suivre et que trop de ses camarades avaient craqué sous a pression : "Je me rappelle de Charlie Christian, qui jouait nuit et jour. En fait, il jouait tellement qu'il restait sans dormir des semaines entières. C'est la tuberculose qui l'eut pour de bon."
Après avoir quitté le monde du jazz, Claude Jones partit voyager un peu partout dans le monde entier, avant de se décider à devenir steward à bord du tout nouveau paquebot luxueux, le SS United States. Là, il disait qu'il aimait la vie bien plus que celle de ses années musicales.
la session enregistrée avec Armstrong 20 ans plus tôt.
Son dernier voyage eut lieu en janvier 1962. Le SS United States partit de New York pour Southampton. Le 17 janvier, Claude Jones eut un grave malaise et mourut peu de temps après. La nouvelle de son décès ne fut rendue publique que plusieurs semaines ensuite.
Albert J. McCarthy décrit parfaitement le style de Claude Jones en conclusion de l'article de David Ives paru en 1962 : "Jones n'était pas un grand innovateur et sa stature comme tromboniste n'égalait pas celle de Dickie Wells ou de J.C. Higginbotham par exemple. Toutefois, il était un musicien fin avec un style propre à lui, une technique et une capacité claire à pouvoir prendre des solos de première catégorie. Il variait son phrasé avec ampleur, utilisant souvent un vibrato rapide; et son ton était plein."

En-tête de l'article consacré à Claude Jones
dans Jazz Monthly, mars 1962
Solos remarquables pour cette période :
- Jess's Natu'lly Lazy (21 mai 1936), solo et duo avec Cab (à écouter à la fin de cet article).
- Are You In Love With Me Again? (21 mai 1936).
- Some of These Days (1937) dans le film Hi de Ho (voir l'extrait vidéo plus haut).
- Peckin' (3 mars 1937), un des titres de la revue du moment au Cotton Club.
- Jumpin' Jive (17 juillet 1939), avec un solo court "arraché" à Chu Berry !
Avec Ferdinand Roll Morton :
- Didn't He Ramble (14 septembre 1939)
- I Thougt I Heard Buddy Bolden Say (14 septembre 1939)
- Swinging The Elks (30 janvier 1940)
Avec Louis Armstrong et Sidney Bechet :
- Perdido Street Blues (27 mai 1940)
Avec Coleman Hawkins :
- California Here I Come (juillet 1940, NBC broadcast)
Avec Duke Ellington :
- Come Sunday (décembre 1944, Live au Carnegie Hall NYC)
- Things Ain't What They Used to Be (17/01/1945, enregistré en triplex avec L. Armstrong à La Nouvelle-Orleans et B. Goodman à New York).
- Fugue-A-Ditty (janvier 1946, Live au Carnegie Hall NYC), en compagnie de Jimmy Hamilton (cl), Harry Carney (tp)
- Bakiff (décembre 1947, Live au Carnegie Hall NYC)
- All On et Hurricane Blue (12 novembre 1945, NYC)
- Bob Zieff, Claude Jones in The New Grove Dictionary of Jazz
- Kurt Dietrich, Duke's Bones, 1995
- Stanley Dance, The World of Swing
- Gunther Schuller, L’Histoire du Jazz, vol.1 : Le premier Jazz
- Dickie Wells, The Night People
- John E. Mann : "Claude Jones: Fragment of an autobiography", Jazz Monthly mars 1962
- David Ives, "Claude Jones", Jazz Journal, juin 1962
- David Berger, Braggin' In Brass
- John Chilton, Song of The Hawk
- John Chilton, Sidney Bechet
- Charles Peterson, Swing Era
Cet article n'aurait pu voir le jour sans l'aide et la générosité de Jean-Pierre Hartmann, tromboniste et ami.
Un immense merci à Mario Schneeberger pour son travail sur la solographie de Claude Jones qu'il a généreusement achevée à l'occasion de cet article et mise à ma disposition.
Merci également à Yvan Fournier dont les conseils et les inépuisables ressources me sont toujours précieux.

