Claude B. 'Wiggy'JONES
(11 février 1901 à Boley, OK - 17 janvier 1962 en mer, à bord du SS United States)
Trombone dans l'orchestre de Cab de 1934 à 1940, puis en 1943
Un tromboniste fin, un sideman fiable, un soliste novateur, un musicien qui a toujours su être au bon endroit… mais qui n'a jamais connu la célébrité. Voici comment l'on pourrait définir en quelques mots Claude JONES qui fut trombone dans l'orchestre de Cab de 1934 à 1940 et en 1943.
Le musicologue Gunther Schuller le juge très moderne dans son approche rythmique ; d'autres le considèrent comme l'un des pionniers du trombone, qui l'a libéré de son jeu primaire.
Une révélation lors d'une parade
Claude Jones est né à Boley, une petite ville de l’Oklahoma en 1901. Cette ville a la particularité d'être installée sur un territoire indien et d'être celle qui comptait à l'époque la plus large communauté noire. En fait, Claude Jones était un métisse noir et indien, à la peau relativement claire. Le saxophoniste Garvin Bushell qui le connut dans sa jeunesse se souvient d’ailleurs de lui, poussant des cris d’indien et dansant dans la rue !
Avec une mère jouant du piano, Claude Jones commença très rapidement à s’intéresser à la musique : il prend des cours de trompette et de batterie mais c’est en 1914 qu’il s’initie au trombone. C'est l'arrivée d'une parade dans la petite ville de Boley qui déclenche tout. Le petit Claude fut marqué par le tromboniste qui marchait en tête et devint obnubilé par l'instrument. Claude Jones relate le jour où son père le lui offrit : "Le 15 juin approchait - le jour où l'on célébrait l'émancipation des esclaves au Texas - 'Juneteenth' comme on l'appelait. C'était un jour férié avec des pique-nique et choses dans ce goût-là. Eh bien ce jour-là, mon père me dit 'Ne soit pas en retard' et je répondis 'Bien sûr', mais en fait je suis arrivé un peu en retard à la maison. (...) 'Vas te coucher'." Et en passant devant le salon pour rejoindre sa chambre, le petit Claude Jones aperçut un trombone sur la table. Cette image de conte de fée le marquera à jamais.
Dès le mois de juillet, Claude rejoint le petit orchestre tenu par un professeur de la ville et obtient des résultats étonnants. Dès le mois d'août, il se fait remarquer lors d'une convention maçonnique par une femme à la tête d'un orchestre de Livingstone. Elle propose à ses parents de l'envoyer suivre des études à Livingstone. Arrivé là-bas, Claude jouera plutôt... de la batterie ! Après le lycée, il rejoignit les rangs de l'école militaire de Wilberforce. Là, entre les cours de droit, il joua encore dans la fanfare. "Je jouais de tous les instruments qu'ils me demandaient de jouer : basse, cor, trompette, trombone."
Garvin Bushell raconte dans son autobiographie, Jazz From The Beginning, qu'à Wilberforce, Claude Jones et lui appartenaient à un petit groupe de jazz avec Pinky Starks, Edgar Hayes au piano. L'amitié entre Garvin et Claude dura très longtemps et fut apparemment très forte.
Vic DICKENSON, autre grand tromboniste, était un grand admirateur de Claude Jones témoigne : "Quand Claude Jones était à Wilberforce, ce n'était pas loin de chez moi à Xenia, Ohio, et je peux vous dire qu'il était déjà considéré comme une sorte de héros local."
McKinney's Synco band (Claude Jones est le 1er à gauche, 2e rang)
Avec les Synco Jazz de Bill McKinney
Lorsque Bill McKinney vint lui proposer 6 dollars par jour au début de l'été 1922, Claude Jones rejoignit alors (et sans aucune hésitation) l’orchestre Synco Jazz qui deviendra plus tard les McKinney’s Cotton Pickers. Todd Rhodes au piano, McKinney à la batterie, Wesley Stuart au violon et Milton Senior au sax alto. Claude Jones pensait que le job ne durerait que l'été et qu'il retournerait ensuite à ses études. C'est aussi ce que lui fit comprendre McKinney qui lui dit qu'il ne pourrait le garder que s'il ferait des efforts pour s'améliorer. Cela piqua au vif Claude Jones qui répéta sans cesse... et qui fut évidemment embauché pour de bon !
Durant les étés 1922 et 1923, les Syncos jouèrent au Manitou Beach au bord du lac Michigan. "Hot Lips Jones – The Laughing Trombone Player – Plays With His foot", c’était la manière dont Claude Jones était annoncé sur affiche. Et cette attraction particulière lui permettait de gagner un peu plus d’argent. Un autre tromboniste, Clyde BERNHART se souvient d'ailleurs de cette attraction et que Claude Jones amusait vraiment tout le monde en enlevant sa chaussette pour jouer de la coulisse pied nu ! Mais il n'était pas le dernier à faire le spectacle : Cuba Austin impressionnait beaucoup le tromboniste, en jouant de la batterie avec tout ce qu'il trouvait sur scène, allant à jouer jusque sur la tête et les jambes en l'air.
Claude Jones et Cuba Austin faisant leur numéro
au sein des McKinney's Cotton Pickers (photo tirée du livre de John Chilton)
Claude Jones avoue que les Syncos étaient le meilleur orchestre avec lequel il avait joué. « Ils étaient incomparables. C’était un spectacle, avec de la dance, de la chanson, du jeu de scène, tout. Et de la comédie également. J’ai vu bien d’autres groupes de ce genre, d’autres orchestres burlesques, mais celui-là savait vraiment jouer. »
Dans The World of Swing, Dickenson déclare son admiration : "Claude Jones ne jouait pas de l'instrument comme un trombone. Il en jouait bien au-delà."
Dickie Wells ajoute que Claude Jones conseillait souvent à ses amis de ne pas jouer comme lui, trop "propre", trop "lisse" ; il leur conseillait au contraire de jouer un peu "fuzzy", c'est-à-dire avec suffisamment de relâchement pour créer ce qui faisait le vrai swing. Il semble aussi que Claude Jones, malgré son statut de musicien professionnel, continuait de prendre des cours de trombone, notamment avec Arthur PRYOR qui avait développé le vibrato au trombone avec les lèvres.
Don Redman à la tête des McKinney's Cotton Pickers
A force de grandir, les Synco devinrent les McKinney's Cotton Pickers et connurent un véritable succès, élargi encore par l'arrivée de Don REDMAN dont la subtilité et la brillance des arrangements donnèrent plus d'ampleur aux qualités techniques de l'orchestre. La musique prit de plus en plus de place par rapport aux numéros et attractions durant le spectacle. Claude Jones avait tout de même un numéro de claquettes qu’il faisait vraiment bien. Et avec le batteur Cuba Austin, Georges Fathead Thomas et Don Redman, Claude Jones faisait un numéro de quartet vocal, qui enregistra d’ailleurs une version célèbre de « Four or Five Times ».
Claude Jones est le 2e assis à partir de la gauche.
Dans The World of Swing de Stanley DANCE, Quentin Jackson témoigne à propos de son beau-frère : "Pour moi, c'était le meilleur, et il jouait de belles mélodies dans le style de Miff Mole. 'Il n'existe que très peu de bons joueurs de trombone', me disait-il souvent, 'Et il va donc y avoir de la place pour eux. Avec tout ce que tu sais déjà (NDLR : Quentin Jackson avait débuté par le piano, le violon, l'orgue), tu devrais te mettre à cet instrument.' "
D'ailleurs, lorsque Quentin Jackson rejoignit les McKinney's Cotton Pickers en décembre 1930, Jones continuait d'avoir une grande influence sur son travail.
Et pourtant en 1929, McKinney - qui ne jouait plus depuis longtemps dans l'orchestre portant son nom - vira le trompettiste John NESBITT (remplacé par Joe Smith) puis Claude Jones.
C'est sa femme qui poussa Claude Jones à répondre aux télégrammes envoyés par Fletcher Henderson qui le réclamait. Il fit donc ses valises pour Atlantic City où se jouait alors "Great Day" un show dans lesquels quelques belles chansons se distinguaient : Hallelujah, Without a Song. Sa rencontre officielle avec Fletcher se fit dans une salle de billard qui lui dit que le show partait pour New York mais qu'il doutait de son succès. Claude Jones y tint quand même le pupitre de second trombone et quatrième trompette. Louis Armstrong était le premier trompette ! Ce qui n'empêcha pas le spectacle de faire un four et de s'arrêter au bout de 2 semaines à New York.
Claude Jones resta avec l'orchestre d'Henderson jusqu'en août 1931 puis y revint pour une tournée en novembre de la même année.
Chez le subtil arrangeur Henderson, Jones renforce sa réputation d'excellent lecteur. Chez Henderson, il est au côté de Jimmy Harrison (qui meurt en juillet 1931) et qui était l'un des meilleurs improvisateurs de l'époque.
Bob ZIEFF, qui écrivit sa notule dans le Grove Dictionary of Jazz, caractérise le style de Claude Jones chez Henderson : "Il avait une belle sonorité de velours et un sens très fin de la mélodie ; ses solos étaient propulsifs et inventifs et, à l'inverse de ses contemporains, il employait souvent le registre aigu de l'instrument. Il pouvait faire des changements de rythme très rapides, ainsi que des sauts d'octaves étonnants pour l'époque. Cela devint en quelque sorte sa signature."
En même temps qu'il était chez Henderson, Claude Jones jouait par intermittence comme deuxième trombone au côté de Benny Morton chez Chick Webb, mais le chef avait toujours à cette époque des problèmes et des dettes. Ce qui n'empêcha pas pas l'orchestre d'enregistrer de superbes titres sur lesquels on peut parfois entendre en solo le trombone de Claude Jones.
Après son premier départ de chez Henderson en août 1931, Claude Jones rejoint Don Redman qui avait monté son propre orchestre. Il resta avec lui jusqu'en 1933 et enregistra de nombreux titres, participa régulièrement à des émissions radio et enregistrements pour le cinéma (avec notamment le fameux dessin animé de Betty Boop, I Heard).
Claude Jones revint ensuite chez Henderson de juillet 1933 à 1934. Il remplaça alors J.C. HIGGINBOTHAM (à qui nous consacrerons une note prochainement, puisqu'il a également été trombone chez Calloway) qui venait de rejoindre l'orchestre de Chick Webb.
L'attachement de Claude Jones à l'orchestre d'Henderson était très fort, comme celui des autres musiciens. En effet, lorsqu'en 1934 la banqueroute guettait le chef, tous refusaient les offres extérieures, même apparemment celle de 400 $ qu'avait fait Cab à Claude !
Finalement, Claude Jones céda bien un jour de septembre quand avec l'orchestre de Chick Webb, il jouait à un gala de bienfaisance pour le syndicat des musiciens auquel assistait Cab Calloway. Peu de temps après, Jones rejoignait Calloway.
Juste avant de rejoindre l'orchestre de Cab, Claude Jones aurait enregistré 4 titres avec le pianiste et arrangeur Alex HILL and his Hollywood Sepians (un orchestre monté de toutes pièce pour la session). La réalité est tout autre car dans ses mémoires, Clyde Bernhardt précise qu'il remplaça Claude Jones, malade (ou en pourparlers avec Calloway ?), pour une session le 10 septembre 1934. Mais s'étant fait violemment tancé par son chef Vernon Andrade qui lui avait reproché d'y avoir participé, Clyde resta très très discret, au point de laisser attribuer le solo sur Functionizin' à Claude Jones, qui possédait la même technique. Clyde écrit d'ailleurs que, personnellement, il avait plus de swing que Claude...
nous verrons quelle fut la vie qu'il mena en compagnie de l'orchestre de Cab, comment il quitta progressivement le monde du jazz pour y revenir convaincu par Duke Ellington.
Et puis comment Claude Jones termina sa vie comme stewart à bord du paquebot américain SS United States...
Solos remarquables pour cette période :
Chez McKinney's Cotton Pickers :
- Put it There (11 juillet 1928) pour son "jumping” solo
- Four or Five Times (11 juillet 1928) pour sa participation vocale à succès
- Stop Kidding (12 juillet 1928) pour son solo à la rythmique très novatrice sur un arrangement de Nesbitt
- Do Something (9 avril 1929)
- It's Tight Like That (23 novembre 1928)
- I'd Love It (6 novembre 1929)
- The Way I Feel Today (6 novembre 1929)
- On pourrait presque ajouter chaque titre, tant Claude Jones est très présent et prend très souvent des solos.
Chez Fletcher Henderson
- Somebody Stole My Gal (4 mars 1931)
- Radio Rhythm (17 juillet 1931)
- Blue Rhythm (août 1931)
- Sugar Foot Stomp (10 avril 1931), sur le premier solo uniquement, le second étant l'oeuvre de Benny Morton (merci à Yvan Fournier pour cette précision).
- Rug Cutter's Swing (25 septembre 1934), Claude Jones est au premier solo, Keg Johnson fait le second.
Chez Don Redman
- I Heard (15 octobre 1931)
- Nagasaki (6 octobre 1932)
Chez Chick Webb
- Don't Be That Way (19 novembre 1934)
- Facts and Figures (12 octobre 1935)
- Bob Zieff, Claude Jones in The New Grove Dictionary of Jazz
- John Chilton, McKinney's Music: a Bio-discography of McKinney's Cotton Pickers, 1978
- Stanley Dance, The World of Swing
- Gunther Schuller, L’Histoire du Jazz, vol.1 : Le premier Jazz
- Dickie Wells, The Night People
- J.E. Mann : "Claude Jones: Fragment of an autobiography", Jazz Monthly mars 1962
- David Ives, "Claude Jones", Jazz Journal, juin 1962
- Interview de Quentin Jackson par Milt Hinton, in Jazz Oral History Project, Rutgers University (1976)
- RedHotJazz pour ses pistes audio et ses renseignements toujours indispensables
Cet article n'aurait pu voir le jour sans l'aide et la générosité de Jean-Pierre Hartmann, tromboniste et ami.
Un immense merci à Mario Schneeberger pour son travail sur la solographie de Claude Jones qu'il expressément achevée à l'occasion de cet article et mise à ma disposition.
Merci également à Yvan Fournier dont les conseils et les inépuisables ressources me sont toujours précieux.