“Stormy Weather”: from an arranger to another

Lorsque l’on se penche sur la musique du film Stormy Weather, on est frappé par sa proportion dans le film : près de 90 % ! C’est dire la minceur du scénario et, en contrepartie, l’attention que nous devons porter à la richesse de sa musique.
Au-delà des grandes stars du jazz qui sont présentes dans le film, la question des arrangements musicaux a soulevé suffisamment de problèmes pour que The Hi de Ho Blog vous en parle un peu. Il faut dire que l’on est passé d’un compositeur classique à un jazzman, tous deux Afro-Américains, sous la houlette du directeur musical (et blanc) de la 20th-Century-Fox, Alfred Newman.


William Grant Still : premier arrangeur du film

Fin 1942, Alfred NEWMAN, directeur musical de la 20th-Century-Fox (et futur oncle de Randy Newman), engagea un compositeur et arrangeur noir relativement célèbre en son temps : William Grant Still (1895-1978). Il avait travaillé avec W.C. Handy mais était surtout reconnu pour son travail de compositeur. Still est d'ailleurs considéré comme un des pionniers de la musique classique noire-américaine. William Grant Still travailla à Los Angeles comme arrangeur musical, de mai 1929 à mai 1930 pour le compte du célèbre Paul Whiteman pour le programme radio The 

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Old Gold Hour. C’est d’ailleurs en 1930 que Still compose sa première symphonie, l’Afro-American Symphony, inspiré par le blues et son expérience d’arrangeur pour le jazz. Au total, il composera 150 œuvres dont cinq symphonies, quatre ballets et neuf opéras. Installé définitivement à Los Angeles depuis 1934, Still travaille pour les studios et compose des musiques de films et commence à se tailler une excellente réputation : CBS lui commande des œuvres, ses ballets sont créés à New York… Remarqué par Alfred Newman, Still admet que son contrat pour Stormy Weather fut sa meilleure opportunité dans le monde du cinéma : 3 000 $, une forte somme pour l’époque et pour un compositeur.
Still témoigne : « J’ai été embauché pour être le conseiller musical ; une partie du film était censée démontrer la réussite des noirs américains dans la musique. Quand je suis arrivé, j’ai découvert qu’il n’en était rien. C’était de la musique populaire, alors je n’avais pas grand-chose à y faire. »

Still démissionna donc quelques semaines plus tard, en janvier 1943, accusant l’équipe de la 20th-Century-Fox de dénier son travail et d’estimer que ses arrangements étaient « trop bons », et ne correspondant pas au portrait attendu de la musique noire. Mais William Grant Still ne veut pas en rester là et publie une lettre ouverte dans le Jersey Herald News (20 février 1943). Cette longue lettre d’explication causa un tumulte conséquent à Hollywood (deux jour plus tôt, un article du Los Angeles Sentinel titré « Stormy Weather lies ahead » félicite déjà Still pour sa démission) et fut reproduite dans de nombreux journaux noirs-américains.

D’ailleurs, le 27 mars 1943, le Pittsburgh Courier (un des journaux noirs-américains les plus lus), un long article sur la démission de Still prend parti pour le compositeur : « Nous devrions louer, honorer et soutenir ces artistes noirs comme William Grant Still qui refusent de vendre leurs talents à de telles productions. » En 1945, Still écrira également qu’Alfred Newman « rejeta ses arrangements sous le prétexte qu’ils n’étaient pas authentiques tout comme il refusa d’employer les musiciens noirs » que Still recommandait. Commentaire de Still : « C’était l’excuse habituelle d’Hollywood de penser que s’il s’agissait de musique noire, elle devait être brute pour être authentique. D’autant plus que les musiciens imposés pouvaient à peine lire la musique et s’étaient comportés en clowns pour l’audition, faisant une pitoyable impression. »

Par exemple, à propos de ses orchestrations pour la musique d’après la première Guerre mondiale, Alfred Newman lui aurait reproché d’écrire de manière trop sophistiquée : « Les orchestres noirs ne jouaient pas aussi bien à l’époque » lui aurait-il rétorqué. Bref, Still se retrouva en lutte contre Hollywood et son utilisation des stéréotypes raciaux.
Juste après son départ fracassant de la Fox, William Grant Still fit beaucoup d’orchestrations pour Dimitri Tiomkin, célèbre compositeur de musiques de films. Les partitions de Still pour Stormy Weather sont apparemment conservées dans les collections de l'université Duke et n'ont jamais été publiées.

 

Benny Carter : le surdoué sauveur
 
Benny CARTER, trompettiste, saxophoniste et multi-intrumentiste réputé et brillant venait de s’installer à Los Angeles en novembre 1942, jouant au Swing Club de Billy Berg. Ce serait Irving MILLS (l’agent de Duke Ellington et de Cab Calloway) qui était producteur associé du film et assembleur de talents qui proposa Benny Carter pour remplacer Still. En janvier 1943, il fut donc embauché par la Fox. Je ne sais pas s’il est reparti de zéro par rapport au travail de son prédécesseur. Mais son travail contribua amplement au succès du film. Il s’investit énormément, jouant avec l’orchestre du studio dans la section des saxophones, et prenant même des solos. On le voit même à la trompette dans les scènes avec Fats Waller (dans la scène à Beale Street, sur les titres That Ain’t Right et Ain’t Misbehavin'). Il composa même un morceau en compagnie de Fats mais que l'on n'entend à l'écran que comme musique de transition, Moppin’ and Boppin’ (à retrouver également sur l’édition CD de la bande originale). Zutty Singleton, batteur sur tous ces titres considère d’ailleurs Moppin’ comme le meilleur morceau qu’il ait enregistré. De la même manière, il enregistra un formidable Body and Soul avec l’orchestre de Cab Calloway qui ne fut pas retenu également (en bonus sur l’édition CD).

Impressionné par la qualité de son travail, et notamment ses arrangements pour les cordes, Alfred Newman l’engagea pour trois autres films à la Fox. Son travail pour les studios Fox et MGM se développa à grande vitesse, au point qu’il abandonna son big band en 1946. Parmi les films auxquels il a participé : An American in Paris, The Snows of Kilimanjaro, The Sun Also Rises, The Guns of Navarone, Flower Drum Song, etc. Il redevint même directeur musical pour plusieurs productions, dont A Man Called Adam (1965) et Buck and the Preacher (1972). À la fin des année cinquante, Benny Carter travailla également pour le petit écran (M-Squad, Alfred Hitchcock présente mais aussi des dessins animés).

À noter toutefois : la contribution de Benny Carter aux arrangements du film n’est pas créditée au générique…

Et vous, comme William Grant Still, vous les trouvez « bruts » les arrangements de Benny Carter ?

Quelques sources de travail :