“Jazz From The Beginning” by Garvin BUSHELL (1988) 2/2

Second volet de notre lecture de Jazz From The Beginning, nous allons maintenant voir comment Garvin BUSHELL a quitté l’orchestre de Cab Calloway et comment il a géré la suite de sa carrière. Enfin, il nous livrera son opinion si particulière sur sa production discographique durant sa période avec Cab (entre mai 1936 et septembre 1937).


Cotton Club

Cotton Club, perfectionnement… et départ
Le 24 septembre 1936 eut lieu l’ouverture du nouveau Cotton Club de Manhattan (celui de Harlem ayant fermé ses portes en février de la même année). Les deux semaines qui précédèrent furent consacrées aux répétitions. Garvin raconte qu’il eut un jour une remontrance devant tout le monde par Cab alors qu’il était arrivé en retard à l’une d’elles. Benny Payne et Will VODERY avaient écrit les arrangements ; ce dernier ayant réservé de belles parties de hautbois et de basson à Bushell. Il reconnaît avoir développé son jeu de saxophone durant sa période avec Cab, grâce à Walter THOMAS qui l’encouragea à prendre des cours avec Merle JOHNSTON (quand Ben Webster était allé le voir, le professeur lui avait dit : « Ben vous faites tout mal, mais vous sonnez merveilleusement. Je ne vais rien changer à cela. »). Bushell décida alors de continuer à perfectionner sa technique tout au long de son existence, ce qui lui fut particulièrement utile lorsqu’il rejoignit un orchestre classique au pupitre de hautbois.

Chu BERRY

Il est vraiment intéressant d’avoir différentes versions de la vie de l’orchestre. En effet, lorsqu’un soir, Cab vint se plaindre auprès de Garvin de la qualité de son jeu au sein de la section de saxophones, il sut que son temps était fini. Pendant ce temps, « Chu Berry s’asseyait avec son sax dans la bouche et dormait pendant tout le spectacle. Mais Cab laissait Chu faire tout ce qu’il voulait. » Jalousie ou véracité des faits ?...
Toujours est-il que ce soir-là, Garvin joua sa partie pendant le spectacle, sans même regarder Cab. Le lendemain, un des valets vint lui apporter sa lettre de licenciement. « Tu ne coopères pas et tu ne fais pas attention aux indications de Cab. » Si Garvin reconnaît qu’il avait en partie raison, il dit qu’en fait Cab voulait se séparer de lui. Il pense même que Chu Berry en personne était derrière tout cela et que comme Cab écoutait tout ce que Chu disait…


De Chick Webb à Eric Dolphy
Le jour où il eut sa lettre, Garvin eut un coup de fil lui proposant de rejoindre l’orchestre de Chick WEBB, afin de remplacer Chauncey HAUGHTON (qui rejoindra plus tard l’orchestre de Cab Calloway). Le lendemain, il répétait et jouait le soir-même à l’Apollo. Même si à cette époque Chick Webb et Ella Fitzgerald n’avaient pas le succès de Cab, Bushell ne regretta pas ce changement. Durant sa période avec Chick et Ella, Garvin remarqua que les tournées dans le Sud des USA se déroulaient dans de meilleures conditions, étant mieux acceptés parmi la communauté noire que l’était Cab. Il dit même que parfois les Noirs n’étaient pas au courant que l’orchestre de Calloway était en ville !

Garvin Bushell resta dans l’orchestre de Chick Webb jusqu’en septembre 1939, peu de temps après sa mort.  Il se mit en free lance, puis joua pour Slim GAILLARD, monta son sextet de jazz, joua avec Eubie BLAKE, se lança même dans la restauration (sans succès).
Ensuite, à la fin des années 40, il entama une carrière dans le classique (en connaissant les mêmes problèmes de ségrégation), avant de rejouer du Dixieland. Il devint ensuite professeur d’instruments à vent, dans son studio à New York. D’autres grandes réunions de jazz se tinrent en sa compagnie : le revival de l’orchestre de Fletcher Henderson, avec Wilbur de Paris. Au cours d’une tournée en France, il écouta Charlie MINGUS à Juan-les-Pins et remarqua Eric DOLPHY. Sa grande rencontre fut celle avec John COLTRANE, avec lequel il joua, avant de participer aux expériences de Gil EVANS. Comme vous pouvez le constater, Garvin BUSHELL eut une vie riche à tous points de vue et c’est une chance absolue de pouvoir en lire quelques histoires à travers cet ouvrage que je conseille à tous les amoureux du jazz et tous ceux qui s’intéressent à la vie des Afro-américains au XXe siècle.




Une écoute sans complaisance aucune.
Dernier intérêt de ce livre, la discographie de Garvin BUSHELL, avec ses commentaires et la désignation des solistes. Concernant les titres enregistrés avec l’orchestre de Cab Calloway, il écrit :
  • Sur Copper-Colored Gal (21 mai 1936) : solos d’Irving RANDOLPH (trompette), BUSHELL (clarinette), Ben WEBSTER (sax ténor). « C’était un numéro important de la revue du Cotton Club. Bill ROBINSON faisait des claquettes dessus. Cab ne payait jamais assez pour ses arrangements.  C’est Benny PAYNE qui les faisait pour seulement 10 dollars. »
  • Sur The Wedding Of Mr. And Mrs. Swing (21 mai 1936) : solos de WEBSTER (sax ténor) et BUSHELL (clarinette) : « On n’avait aucun intérêt à enregistrer ce morceau-là. Dans la revue, c’était superbe, mais à écouter sur un disque, assis chez soi… Le rythme est lourd et ça ne bouge pas. Les cuivres veulent partir mais la section rythmique les retient. »
  • Sur Peckin’ (3 mars 1937) : « Je me souviens avoir joué cet arrangement. Fruit [Morris WHITE] n’a jamais vraiment été bon en tant que guitariste, il n’avait aucun rythme. Le tempo se meurt. »

Encore quelques costumes taillés pour l’hiver ; mais rassurez-vous, il en a quelques autres en réserves pour d’autres musiciens, avec d’autres orchestres ! On est bien loin des côtés lisses de certains témoignages plus « orthodoxes », comme ceux de Doc CHEATHAM ou Cab Calloway. A vous de vous faire votre opinion, mais ne passez pas à côté de ce livre !



Garvin BUSHELL Jazz From The Beginning
Jazz From The Beginning, by Garvin BUSHELL as told to Mark TUCKER (introduction by Laurence Cusher, new preface by Stanley Crouch), éditions DA CAPO (1988 – réédition de 1998).
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