J.C. HEARD: Cozy Cole's brilliant successor

J.C. Heard in Stormy Weather, with Cab Calloway
J.C. Heard (1917-1988)
Batteur dans l’orchestre de Cab Calloway d’août 1942 à 1945

Souvenez-vous de la mine réjouie de ce batteur lors du fameux morceau d’anthologie Jumpin’ Jive pendant la scène tout aussi anthologique de Stormy Weather (1943) : c’est J.C. Heard ! Formidable batteur, J.C. Heard a apporté un véritable élan au niveau de la section rythmique de Cab Calloway. Et pourtant, il ne subsiste que très peu d’enregistrements de l’orchestre à cette époque : la grève du « record ban » débuta au moment où J.C. Heard remplaçait Cozy Cole aux baguettes. Et pour le coup, le siège était plus qu’éjectable…

Alors que Cab Calloway était en tournée sur la côté Ouest des USA, Cozy Cole décida de quitter l’orchestre pour celui de Raymond SCOTT chez CBS. Cab était désespéré car Cozy Cole avait  largement contribué aux succès des années précédentes. J.C. Heard avait été remarqué depuis un moment pour ses passages dans les orchestres de Teddy Wilson, Basie, Goodman et Ellington et plus en particulier Teddy Wilson.

Cab fit demander à J.C. Heard d’arriver la veille de son engagement de manière à pouvoir écouter l’orchestre avec Cozy Cole encore en poste. Il dit alors à J.C. : « Je sais tout de toi, Heard. Maintenant, tu es là et c’est bien. Mais je vais te dire une chose : si jamais Cozy venait à changer d’avis et voulait revenir, je te paierais tes quatre semaines et tu repartirais aussitôt ! » De quoi mettre à l’aise tout nouveau venu, même avec l’expérience de Heard.


Chanteur, tap dancer et aussi batteur... le tout dès 10 ans !

Car, effectivement, Heard ne manquait pas d’expérience. Né à Dayton, Ohio en 1917, J.C. Heard fut élevé à Détroit et se mit à taper sur des tambours dès l’âge de trois ans. Et avant même d’avoir son propre tambour, il faisait résonner le moindre pot à sa portée. A 5 ans, il était déjà sur scène en tant que danseur de claquettes (une vertu que l’on retrouve chez nombre de batteurs), mais aussi danseur, batteur, chanteur. On l’appelait le « Child Wonder. » Sa mère et son père se chargeaient de gérer sa carrière et son salaire. J.C. gagnait les concours amateurs les uns après les autres, mais sa principale inspiration était Chick WEBB (comme Cab Calloway, d’ailleurs). Un de ses premières qualités fut de retranscrire ce qu’il faisait avec ses claquettes sur ses tambours. A 10 ans, J.C. vit un « tournant » dans sa carrière en décidant de ne plus se consacrer qu’à la batterie. Une fois de plus, c’est grâce à un concours de circonstances : le batteur de l’orchestre avec lequel il tournait dans un spectacle de vaudeville tomba subitement malade et dut être rapidement remplacé. Il continua ainsi pendant quelques années à apprendre en autodidacte ; puis il prit des leçons au lycée Cass Technical de Détroit : rudiments de la batterie,  lecture des notes et progressa si rapidement que le professeur lui confiait la classe chaque fois qu’il devait s’absenter !

Chick WEBB et Cab CALLOWAY
Comme J.C., Cab aimait beaucoup Chick Webb.

Une nuit entière aux côtés de son idole...
 
Néanmoins, pour progresser il était indispensable d’aller voir et écouter les autres drummers dans les prestigieux orchestres du moment : Jimmy Lunceford, Flecher Henderson, Benny Goodman, Don Redman… Certains noms retinrent plus particulièrement  l’attention de J.C. : Gene KRUPA, Sidney CATLETT, Baby DODDS, Cuba AUSTIN, Ray McKINLEY, etc. Mais c’est en 1937 que survint l’événement qui lui fit faire un progrès conséquent : une nuit entière passé aux côtés de Chick WEBB. Il faut dire que le « bossu » avait de la ressource et de l’inventivité… et de la générosité. Il lui montra en effet la manière dont devait s’intégrer et/ou dominer la batterie dans un orchestre, avec une vision futuriste de la place du drummer dans la musique.


Une indéfectible amitié avec Jo Jones.

Nouvelle étape importante : le passage de l’orchestre de Count BASIE à Détroit avec Jo JONES à la batterie. Le plus élégant des drummers, le cador du « hi-hat » et de la subtilité ouvrit les oreilles de J.C. Heard à de nouvelles perspectives, au point de devenir son modèle.
Les deux hommes ne se contentèrent pas de s’apprécier mutuellement : ils devinrent de véritables amis et Jo Jones séjournait toujours chez Heard lors de ses passages à Détroit, faisant partie de la famille. D’ailleurs, Jo Jones appelait J.C. Heard son « petit frère. » Il lui permit ainsi de s’asseoir plusieurs fois au sein de l’orchestre de Basie et quand Jo Jones apprit que Teddy Wilson allait quitter l’orchestre de Benny Goodman pour fonder le sien, il entama un véritable lobbying auprès de tous les membres pour faire embaucher J.C. Heard.

Teddy Wilson vit J.C. pour la première fois à Détroit en 1938. Il repartit sans rien dire avant d’envoyer un télégramme quelques jours plus tard… lui proposant de rejoindre l’orchestre à New York. En 1939, J.C. Heard fut alors parmi l’un des orchestres les plus sophistiqués du moment. Les arrangements de Buster HARDING (qui travaillait également pour Cab !) et d’autres grands noms contribuaient largement aux succès du big band de Wilson. Et parmi les musiciens, il y avait alors Doc CHEATHAM à la trompette, de retour de France après être parti de l’orchestre de Cab Calloway. A noter également, la présence de Ben WEBSTER au sax ténor ; Ben qui était également passé par la case Calloway ! La section rythmique était alors composée d’Al HALL à la contrebasse, d’Al CASEY à la guitare et de J.C. Heard à la batterie. Avouez qu’il y a pire !


Le tempo et le sourire avant tout !

Les spécialistes diront que J.C. contrôlait le tempo avec fermeté, s’appuyant notamment sur le tambour-basse, usant des cymbales pour redonner une pulsation encore plus swing à son travail.  Stabilité, subtilité et confiance permettaient  alors à l’orchestre de s’envoler ! Et pourtant, même sur les ballades, J.C. ne relâchait jamais la pression du swing. Naturellement doué, J.C. Heard était en mesure de faire des merveilles à chaque morceau.

Malheureusement, malgré toutes ses qualités musicales, l’orchestre de Teddy Wilson ne tint qu’une année : « Nous ne nous préoccupions absolument pas de l’aspect ‘spectaculaire’ de notre spectacle. Seule comptait la musique, » avoue Teddy Wilson.
J.C. Heard faisait alors sensation, considéré comme une « extension » de Jo Jones, le pure. J.C. y ajoutait sa personnalité et son originalité, contribuant au développement de la batterie moderne.
Après la dissolution de l’orchestre de Wilson, J.C. Heard passa de petits groupes en big bands, de Sidney Béchet à Dizzy Gillespie ou Charlie Parker, Benny Carter, Louis Jordan, s’épanouissant chaque jour davantage.
 

Cozy COLES
Cozy Cole, le pire ennemi de J.C. Heard ou son meilleur faire-valoir ?


Après Cozy, rien n'est jamais vraiment confortable !

Donc, l’expérience de J.C. Heard en 1942, faisant suite à ses passages dans les orchestres de Basie, Ellington, était des plus honorables. Cab Calloway savait décidément recruter les meilleurs. On voit pourtant qu’il ne fut pas des mieux accueillis par le chef.

L’auteur de Drumming Men note toutefois qu’à l’inverse d’un besogneux Cozy Cole qui passait tout son temps libre à répéter ses figures, au point d’en être obsédé et de passer à côté de la spontanéité. Burt KORALL considère d’ailleurs que Cole s’est carrément saboté tandis que Heard n’a fait qu’apporter un swing plus détendu et gracieux à l’orchestre de Calloway, lui conférent plus de forte et d’attrait. On compare son jeu à celui de Shadow WILSON dans tout ce qu’il pouvait apporter de créativité et de liberté à la batterie à cette époque.

Cab CALLOWAY
Malgré tout, J.C. heard apparaît bien en vedette
sur les affiches des salles de spectacles
(coll. Isabelle Marquis, avec son amicale autorisation).

Malheureusement,  il ne subsiste que très peu de documents sonores du passage de J.C. Heard dans l’orchestre de Cab Calloway. Il faut se contenter le plus généralement d’enregistrements radio. Le « record ban » dura en effet près de deux ans et l’orchestre était le plus souvent sur la route ou au Café Zanzibar (en 1945 notamment duquel plusieurs émissions sont restées gravées).
La section rythmique chez Cab à ce moment-là était constituée de Danny BARKER à la guitare et de Dave RIVERA au piano (Benny PAYNE ayant quitté l’orchestre à l’été 1943 pour s’engager dans l’armée). et de Milt HINTON à la contrebasse.

Elégant comme Jo Jones, J.C. Heard avait pour lui de sourire énormément, mettant tout le monde au tempo de la fête. Un musicien et un entertainer de premier ordre, au point que malgré les menaces de Cab, J.C. eut le rang de vedette au sein de l’orchestre : son nom était sur les affiches au même niveau que les grands solistes.

Lorsqu’il quittera l’orchestre de Cab Calloway, J.C. Heard sera remplacé par Panama FRANCIS.

A la tête de son propre orchestre, J.C. Heard enregistra avec les plus grandes chanteuses du moment : Lena HORNE, Ethel WATERS (un peu âgée, certes) et Billie HOLIDAY mais il fut également un vrai requin de studio avant l’heure, enregistrant notamment avec Erool GARNER et Oscar PETTIFORD.


Une seconde carrière au JATP
 
Remarqué par le producteur Norman GRANZ, J.C. travailla régulièrement  pour lui de 1944 à 1953. Jazz at The Philarmonic était un moyen exceptionnel de faire connaître le jazz partout aux USA et dans le monde. Lors d’une tournée au Japon en 1953, J.C. Heard se vit proposer de rester là-bas tellement l’on avait apprécié son travail. Les Japonais s’étaient d’ailleurs enhousiasmés avec raison pour la bataille de drummers qui l’avait opposé à Gene KRUPA.  Heard s’installa alors au Japon pour quatre ans, passant régulièrement  à la télévision, la radio, donnant des concerts et même des conférences dans des universités. Dans les médias, il intervenait alors au titre de batteur, chanteur, danseur… Une vraie star ! C’est d’ailleurs au Japon qu’il rencontra sa femme Hiroko. Il quitta le Japon pour poursuivre une carrière dans tout l’Extrême-Orient : Manille, Hong-Kong, Bangkok, l’Australie…



J.C. retravailla avec Dorothy Donnegan
qu'il avait croisée sur "Sensations of 1945"


Retour aux racines US...
 
Mais l’Amérique lui manquait et surtout la peur d’être oublié de ses confrères l’incita à revenir à New York.  Mais c’était fini : il était déjà passé de mode. Les offres se firent de moins en moins nombreuses, si ce n’est pour des revivals ou des concerts avec Coleman HAWKINS, Dorothy DONNEGAN (qu’il avait croisée lors du tournage de Sensations of 1945 avec l’orchestre de Cab Calloway), Red NORVO à Las Vegas (où il impressionnera Frank Sinatra pourtant habitué à Irv Cottler), etc. Le JATP lui permit de partir en tournée en Europe ; il fut le remplaçant de Cozy Cole (!) chez ARMSTRONG, de Louie BELLSON…

Pendant 6 mois, il eut son propre groupe à Los Angeles avec Phineas NEWBORN (piano), Leroy VINNEGAR (contrebasse), Harold LAND (sax ténor) et Carmell JONES (trompette). Il vivota ainsi jusqu’en 1967 lors de son retour à Détroit. Trop fier pour demander de l’aide ou s’abaisser aux nouvelles exigences des producteurs, J.C. Heard vécut de plus en plus isolé. Lui qui avait tant contribué à moderniser le jeu des drums se retrouvait  « out. » Surtout à Détroit qui n’était pas la plaque tournante du jazz. Pourtant, celui que tout le monde continuait d’appeler « J. » monta un orchestre de 13 musiciens locaux qui eut quelques belles heures.

Rétabli d’un cancer du colon, J.C. Heard affuta à nouveau ses baguettes et ne baissa pas le rythme… jusqu’à la crise cardiaque qui l’emporta le 27 septembre 1988 à Royal Oak au Michigan. Quelques jours plus tôt, il jouait avec son groupe et le 29, il était attendu pour jouer avec Dizzy Gillespie, Doc Cheatham et les New McKinney Cotton Pickers à Détroit. Jusqu’au bout, J.C. Heard eut le sens du rythme, du swing et de la joie partagée ; c’est sans doute ce qui fait de lui un batteur exceptionnel et inoubliable.

Avant de nous quitter, revoyez donc les quelques secondes d'intro vivifiante par J.C. Heard dans Stormy Weather.



Pistes à écouter :
  • Chez Teddy WILSON :
  • « Boly Ja Ja », « 71 », « Coconut Grove » pour leurs solos de J.C. ;
  • « Wham (Re-Bop-Boom-Bam) » sur lequel J.C. Heard chante en plus de jouer de la batterie.
  • « Congo Blues », enregistré le 7 avril 1945 avec Bird, Dizzy Gillespie, Flip Phillips, Slam Stewart, Teddy Wilson
  • Chez Cab CALLOWAY :
  •     « The Jumpin’Jive » dans le film Stormy Weather.
  •     « Russian Lullaby »
  •     « Lammar’s Boogie »
  •     « How Big Can You Get »
Unique document sur J.C. Heard, l’indispensable Drumming Men, The Hearbeat of Jazz de Burt KORALL (2002, Oxford University Press, USA).
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