De Plantation Days aux jours heureux du Sunset Café
Après sa rupture avec Zelma, Cab retourna terminer sa dernière année de lycée, mais échoua finalement. Il maintint son rythme hallucinant entre les clubs de jazz, l’école, le basket et les petits boulots.
Première grande aventure scénique : Plantation Days
Il rencontra à nouveau sa sœur Blanche l’été 1927. Elle avait quitté la maison cinq ans plus tôt et entretemps était devenue une vedette de music-hall. Elle arrivait en ville pour trois semaines avec sa revue Plantation Days. Cette revue était l’une des toutes premières revues noires et remportait un véritable succès. La forte personnalité de Blanche transparaissait sur scène, chanteuse et danseuse hors du commun. Vingt-cinq personnes composaient la troupe de danseurs et chanteurs menée par Ada BROWN (la chanteuse avec laquelle Fats Waller fait son drôlissime duo dans Stormy Weather : That Ain’t Right). Il n’y avait qu’un seul musicien dans la troupe (Harry Swanigan, le pianiste d’Ada Brown) et dans chaque ville un orchestre de 16 musiciens était recruté pour le spectacle.
Cab s’inscrusta dans la troupe en tissant des liens avec chacun des artistes. Sa sœur Blanche répondait toujours aux envies de Cab d’être dans le show-business par des avertissements et le conseil de ne pas y entrer. Un coup du sort – encore un ! – permet à Cab de rejoindre la troupe et de partir pour Chicago : un des membres d’un quartet vocal tomba malade et dut être remplacé. Cab se mit évidemment sur les rangs et Blanche obtint de Cab qu’il fût engagé, contre la promesse d’aller à la fac en arrivant à Chicago (le plus dur fut tout de même de convaincre Martha, leur mère).
Le show poursuivit donc sa tournée : Pittsburgh, Detroit, Columbus OH, sur le circuit désormais classique du TOBA (Theatrical Organization and Benevolent Association – que les artistes appelaient Tough On Black Asses), réservé aux artistes noirs. Là, Cab commença à savoir ce que signifiaient les tournées dans les Etats-Unis : voyages dans les pires conditions, hébergement et restauration dans des emplacements réservés uniquement aux noirs : l’occasion pourtant de rencontres humaines formidables, en pleine ségrégation. Il fit entre autres la connaissance d’une chorus girl de la troupe avec laquelle il resta durant toute la tournée.
L’arrivée à Chicago, où s’achevaient la tournée et le spectacle (deux semaines de représentations), fut une nouvelle révélation pour Cab : là, les groupes blancs et noirs rivalisaient de talent : Bix Beiderbecke, Eddie Condon, Pee Wee Russell, Mezz Mezzrow, Benny Goodman, Jimmy Noone et Louis Armstrong (absent de Chicago à ce moment).
Entre sport et jazz, il faut choisir !
Cab emménagea avec Blanche et Watty son compagnon du moment, un petit loufiat, joueur et parieur invétéré. Cab en fit son mentor du moment. Quoi qu’il en soit, dès la fin de la revue, Blanche inscrivit son frère au Crane College. Dès janvier 1928, Cab chercha le moyen de chanter à mi-temps… Son ami lui trouva le Dreamland Café pour débuter et via sa bande lui trouva des soirées à animer le week-end.
Mais c’est encore du côté du sport que les événements se bousculèrent : les Harlem Globetrotters passèrent en ville et Cab et un de ses amis passèrent un test. On leur proposa à tous deux d’intégrer l’équipe. Après réflexion, Cab déclina la proposition. Il retrouvera finalement les Harlem Globetrotters quelque 30 ans plus tard, lorsqu'il animera les entractes de leurs spectacles.
Dans ce chapitre, Cab explique son emploi du temps quotidien : cours à la fac de 10 heures à 15 heures. Balades et discussions avec les copains jusqu’à 17 heures. Dîner chez Blanche puis premier show à 20h30. Dernier show à minuit. Retour au bercail à 3 ou 4 heures du matin. Quelques heures de sommeil et ça recommence !
Cab fait la connaissance de Louis Armstrong
Watty obtint pour Cab de chanter et jouer de la batterie au Sunset Café dans le Southside de Chicago, un lieu de plus grande classe que le Dreamland : orchestre de dix musiciens mené par le violoniste Carroll DICKERSON, chorus girls, comédiens, danseurs de claquettes, etc. Cab devint le chanteur du lieu.
C’est à ce moment que Louis ARMSTRONG arriva ; déjà adulé par de nombreux fans, Armstrong était en pleine gloire montante. Lui et Cab firent connaissance. Deux ans plus tard, c’est Louis qui trouvera du travail à Cab dans la revue Hot Chocolates. Cab admet qu’Armstrong fut une de ses principales sources d’inspiration pour le chant, affirmant que c’est Louis qui le libéra du carcan des lyrics en l’incitant à scatter.
Au Sunset, ce sont Ada Brown et Adelaide Hall qui menaient la revue du côté féminin. Côté mâles, Jazz Lips Richardson et Walter Richardson étaient sur le devant de la scène.
et 1re cérémonie de mariage
Très rapidement, Cab prit son envol, salarial d’abord (125$ par semaine !), conjugal ensuite (premier mariage) et artistique (avec son premier vrai orchestre, les Alabamians). Les Alabamians, étaient l’orchestre-maison du Sunset Café. Nous sommes au printemps 1929.
Cab nous explique comment tout est allé si vite et, une fois encore, comment la chance l’a aidé à réussir. En effet, le danseur Ralph Cooper était également le maître de cérémonie (M.C.) du Sunset, mais était particulièrement peu fiable. Un soir que l’on avait perdu sa trace, le propriétaire demanda à Cab de le remplacer. Le lendemain, Cooper était viré.
Les deux hommes ne se fâchèrent pas pour autant. Il faut dire que c’était Cooper qui avait présenté à Cab celle qui allait devenir sa première femme, Wenonah Conacher, surnommée Betty. Une jolie petite frimousse aux yeux bleus et à la peau claire, rieuse et pétillante. Cab tomba vite amoureux. D’autant que la petite gagnait également bien sa vie (mais Cab n’explique pas comment…). Bref, à eux deux, c’était la belle vie. Ils partageaient le goût pour la vie nocturne, les cafés et les clubs, la boisson et les sorties.
Martha, la mère de Cab et ses deux plus jeunes enfants (John et Camilla, enfants de Jack) vinrent s’installer à Chicago avec Blanche, Watty et Cab qui étaient plus en mesure de subvenir à leurs besoins. Pourtant, c’est le moment que choisit Cab pour s’installer avec Betty et se marier quelques mois plus tard, le 26 juillet 1928. Ce qui dut mettre Martha Calloway en colère, ce fut sans doute de voir son fils s’installer avec sa nouvelle femme dans un bordel de bonne tenue.
A la tête des Alabamians
Ça, c’est pour le côté conjugal. Côté scène, les choses ne tardèrent pas non plus à changer pour Cab avec l’arrivée des Alabamians au Sunset Café, début 1929. Orchestre de 11 musiciens, les Alabamians s’étaient taillé une belle réputation en remplaçant l’orchestre de Louis Armstrong parti au Connie’s Inn de Harlem. Les Alabamians étaient menés sans entrain particulier par le violoniste Lawrence HARRISON. L’orchestre jouait les chansons du moment et un peu de jazz. Cab explique que durant les répétitions, il profitait du moment où Harrison avait le dos tourné pour sauter sur scène et prendre les choses en main. Cab avoue en toute modestie que les Alabamians sonnaient bien mieux chaque fois qu’il agissait ainsi.
Comme beaucoup d’orchestres noirs, les Alabamians étaient organisés en coopérative, partageant équitablement les revenus, prenant les décisions importantes ensemble et désignant leur leader démocratiquement. Vous avez déjà compris que c’est ainsi que Cab se retrouva à leur tête !
De ce jour-là, Cab augmenta la cadence des répétitions et en oublia complètement son engagement d’aller à la faculté. Logique : il était à la tête de SON orchestre et voulait lui intimer son propre son.
Les Alabamians étaient composés de :
- Saxophones/clarinettes : Artie Starks, Warner Seals, Marion/Marlow Hardy
- Trompettes : Eddie Mallory, Elisha Herbert
- Trombone : Henry Clark
- Contrebasse : Charlie Fats Turner
- Batterie : Eddie/Jimmy McKendricks
- Banjo : Leslie Corey
- Piano : Ralph Anderson
Vous pouvez écouter les deux seuls titres enregistrés (29/10/1929) par les Alabamians en cliquant sur les noms des chansons :
Quelques mois plus tard, Harry VOILER qui venait de racheter le Sunset Café à Joe Glaser décida de changer les orchestres mais demanda à Cab de rester en tant que maître de cérémonie du club. Cab refusa, préférant rester avec eux. C’est à ce moment que la Music Coroporation of America se proposa de prendre l’orchestre des Alabamians sous contrat. Excellente nouvelle accompagnée d’une promesse de tournée à partir de mai avec une arrivée à New York en septembre 1929…
Dans le prochain chapitre, New York and The Cotton Club,
nous aborderons la grande période de Cab
dans le plus fameux cabaret de jazz
Merci au site Red Hot Jazz pour sa formidable documentation sur les Alabamians comme tous les orchestres de jazz pré-1930.