The nicknames of the guys in Cab Calloway's band

Donner un surnom ("nickname") à un musicien était chose courante dans le milieu de jazz. Peu y ont échappé. Certains restaient connus uniquement du cercle intime des musiciens, d'autres devinrent des moyens de reconnaissance aisés. Thomas 'Fats' Waller parmi eux était donc surnommé 'Fats' par le public, mais dans l'intimité continuait de se faire appeler Tom ou Thomas.
Les surnoms venaient parfois de l'enfance, souvent d'une particularité physique ou psychologique. Bref, le "blase" comme dirait Simonin, vous suivait partout où vous alliez.
Voici les surnoms (et leur explication quand je l'ai trouvée) de quelques-uns des membres de l'orchestre de Cab :

Cab Calloway orchestra

Section rythmique :
  • Benjamin 'Benny' (ou Bennie) PAYNE (piano) : simple diminutif du prénom.
  • Morris 'Fruit' WHITE (guitare, banjo) : parce qu'il aimait dévorer des fruits à longueur de journée (comme Johnny HODGES que l'on surnomma 'Rabbit', le lapin, pour les raisons que vous devinez).
  • Danny 'Butch' BARKER (guitare).
  • Al 'Bass' MORGAN ou Al 'Smoky' MORGAN (contrebasse et tuba) mais également 'Kingfish' sans doute en référence à sa capacité non négligeable à savoir pêcher les pécheresses, mais aussi 'Place' à cause de son habitude de dire toujours lorsqu'il arrive pour un concert "Is this the pla-a-ace?"
  • Milt 'Fump' HINTON (contrebasse) : à cause du bruit sourd et dynamique que produisait sa contrebasse dans l'orchestre (version Cab). D'après Danny Barker, Milt pesait à peine 60 kg lorsqu'il intégra l'orchestre de Cab. Bennie Payne le surnomma donc "Fump", ce qui signifierait "next to nothing". Milt Hinton lui-même explique que 'Fump' est l'équivalent du moins que moins que rien : "la crotte des baleines au fond des océans !" A la fin de sa carrière, les autres jazzmen avaient pris l'habitude de l'appeler 'Judge', étant donné sa longévité et le respect qu'il inspirait à chacun. On trouve également une trace de 'Sporty', attribué surtout dans la première partie de carrière de Milt (une photo de 1940 le montre à un pupitre ainsi décoré), faisant référence à ses dons sportifs.
  • Leroy 'Cash' MAXEY (batterie) : à cause de son obsession de l'argent.
  • William Randolph COLE, aka 'Cozy' COLE (batterie) : abréviation de "Colesy", surnom donné par ses camarades de football américain dans sa jeunesse.
  • David Albert FRANCIS, aka 'Panama' FRANCIS (batterie) : Le jeune David venait d'arriver de sa Floride en arborant un panama pour sa première répétition avec l'orchestre de Roy Eldridge. Sid Catlett était prévu à la batterie, mais Eldridge avait désouvert Francis lors d'une session avec Billy Hicks et l'avait engagé. Joe Glaser, alors manager d'Eldridge, s'attendait à voir Catlett et demanda : "Qui est le type à la batterie ?" Eldridge ne se souvenant plus du nom du petit nouveau répondit "Oh, lui, c'est Panama !" Francis avoua plus tard qu'il était bien trop effrayé pour le contredire et son surnom est resté depuis.
  • Carl Donnell 'Kansas' FIELDS, batterie.
  • James 'Smitty' SMITH, tuba, contrebasse mais aussi saxophone baryton.

Saxophones :

  • Walter 'Foots' THOMAS (saxophone) : à cause de la taille impressionnante de ses pieds, notamment en référence à un blues (They're Red Hot) qui dit : "A gal so tall, that she sleeps in the kitchen with her foots in the hall".
  • Arvelle 'Bunky' HARRIS (clarinette et saxophone) : à cause de sa petite taille et de sa maigreur.
  • Andrew J. 'Flat' BROWN (saxophone, clarinette, flute) : à cause de sa voix grinçante et haut perchée tout près de la note E-Flat.
  • Edward 'Rip' BAREFIELD, aka Eddie BAREFIELD (saxophone et clarinette) : vient du personnage de roman Rip Van Winkle, dormeur invétéré (décrit d'ailleurs dans la chanson de Cab enregistrée en 1934, Jitter Bug).
  • Ben 'Frog' WEBSTER (saxophone) : à cause de ses yeux ronds exorbités, dignes d'une grenouille. Et lorsqu'il était saoul et franchement violent, ses collègues l'appelaient 'The Brute'.
  • Leon 'Chu' BERRY (saxophone) : c'est le chef d'orchestre Billy Stewart qui le surnomma "Chu-Chin-Chow" à cause de la moustache qu'arborait Berry. Cela le faisait ressembler, d'après Stewart, à un Chinois. Une autre version viendrait de l'habitude qu'avait Berry de machouiller ("to chew") le bec de son saxophone avant de jouer. Et il existe encore au moins deux historiques différents...
  • Theodore 'Teddy' McRae 'Mr. Bear'.
  • Ike 'Jim Dawgs' QUEBEC (saxophone).
  • Bob 'Mohawk' DORSEY (tenor saxophone).
  • Jean Baptiste 'Illinois' JACQUET (tenor saxophone) : parce que ses camarades texans ne parvenaient pas à prononcer son prénom trop français (il était né en Louisiane), il adopta le surnom 'Illinois' de l'indien "Illiniwek" qui signifie "homme supérieur".
  • Garvin 'Rev' ou 'Bush' ou 'Butch' BUSHELL (saxophone et clarinette).
  • Irving 'Skinny' BROWN (saxophone ténor), sans doute à cause de sa maigreur.
  • Arvelle 'Snoopie' HARRIS (saxophone), sans doute en rapport avec les qualités de ses lèvres.

Trompettes :

  • Adolphus Anthony CHEATHAM, aka 'Doc' CHEATHAM (trompette), parce que son père aurait voulu qu'il fasse des études de médecine.
  • Ed 'Son' SWAYZEE (trompette) : parce que partout où va Harry 'Father'. White, il n'y va jamais sans sons "fils". Mais on voit également Ed 'Ravoy' SWAYZEE.
  • Lammar 'Slop' WRIGHT (trompette) : à cause des seaux ou des pots de chambre (slop jars) qu'il utilisait comme sourdines.
  • Irving 'Mouse' RANDOLPH (trompette).
  • 'Pops' Russell SMITH (trompette). Titre assez honorifique, faisant état d'une certaine expérience.
  • Robert Elliot JONES aka 'Jonah' JONES (trompette) : prénom attribué à 14 ans pendant une répétition de sa fanfare, son professeur n'arrivant pas à obtenir de lui la bonne note illustra sa demande par "J-j-j-j-j-ones, don't you see?" Autre surnom donné dans l'orchestre : 'Eggy' à cause de son crâne en forme d'œuf. On l'appela même 'King Armstrong the Second', tant son jeu ressemblait à celui de Satchmo.
  • Lester Rallingston 'Shad' COLLINS (trompette).
  • John Birk 'Dizzy' GILLESPIE (trompette) : a acquis très tôt son surnom à cause de son comportement clownesque sur scène (et ce, dès l'adolescence dans la fanfare de Fairfax). Comportement qu'il continua d'avoir jusqu'à la fin de sa vie !
  • Shirley 'Hoggy' CLAY (trompette), surnommé ainsi par Mary Lou Williams.
Trombones :
  • E.B. De Priest 'Deedlo' WHEELER (trombone) tient son surnom à sa ressemblance avec les jumeaux d'Alice au pays des merveilles, Tweedledee et Tweedledum.
  • Harry 'Father' WHITE (trombone) : parce qu'il était le plus vieux de l'orchestre (né en 1898)... à rapprocher d'Edwyn 'Son' Swayzee.
  • Claude 'Wiggy' JONES (trombone) : simplement parce qu'il portait une perruque - en toute discrétion.
    Frederic H. 'Keg' JOHNSON (trombone et guitare), sans doute un lien avec une propension à boire, le keg étant un tonneau...
  • Quentin 'Butter' JACKSON (trombone) : doit son surnom à sa peau claire et à sa bouille ronde. Lorsqu'il rejoignit l'orchestre de Count Basie, il y avait déjà un "Butter" en la personne de Sonny Cohn. Pour les distinguer, Jackson fut appelé "Grand Beurre" (en français dans le texte) et Cohn "Petit Beurre".
  • John 'Shorty' HAUGHTON (trombone) : forcément à cause de sa taille.
  • Evans 'Tyree' GLENN (trombone)
Les surnoms des musiciens étaient même inscrits sur leurs pupitres et le public les connaissait ainsi, comme en témoigne la photo ci-dessous tirée du livre de Garvin BUSHELL, Jazz From The Beginning.

Cab Calloway orchestra

On distingue sur les pupitres de droite "Frog" (pour Ben Webster)
et "Foots" (pour Walter Thomas).

A l'inverse :

A noter, parmi les tics de langage des musiciens, on notera que Cozy COLE appelait tout le monde "Face". Ça, c'était lorsqu'il ne se souvenait jamais de votre nom mais que votre visage lui était familier. Mais s'il se souvenait de l'instrument que vous pratiquiez, vous aviez alors droit à "Bass Face", "Trumpet Face", etc.


Informations tirées d'un peu partout et notamment du très précieux "Jazz Anecdotes - Second Time Around" de Bill CROW (Oxford University Press, 2005), "The World of Swing" de Stanly DANCE et de "A Life In Jazz" de Danny BARKER. Merci également à Jean QUEINNEC pour ses informations complémentaires.

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