BEN WEBSTER: when the Frog worked for Cab (1/2)

Ben WEBSTER
Ben WEBSTER (1909-1973)
Saxophone ténor dans l'orchestre de Cab Calloway
de septembre 1935 au 24 juillet 1937

Ben WEBSTER est l’un des plus grands saxophonistes ténor de l’époque swing. A l’époque, seul Coleman Hawkins était considéré comme son égal… et petit à petit, Leon Chu BERRY entra dans la cour des grands. Ben Webster joua dans l’orchestre de Cab Calloway de septembre 1935 à juillet 1937. Comment ce grand soliste put s’accommoder du répertoire de Cab, comment les autres musiciens s’accommodèrent de son sacré caractère… Dans quelques instants, vous allez tout savoir.

Un parcours parmi les plus grands orchestres
Lorsque Ben Webster rejoignit l’orchestre de Cab Calloway, il était déjà reconnu comme un des grands saxophonistes du moment. Ayant débuté au violon (imaginez-vous "the Frog" tenant un archet ?), il se mit ensuite au piano. C'est Budd JOHNSON - autre saxophoniste qui joua d'ailleurs avec Cab dans les années 1970 - qui l'initia au saxophone. Il rejoignit alors The Young Family Band (dans lequel jouait alors Leter YOUNG) puis passa à Jap ALLEN et Blanche CALLOWAY. C'est d'ailleurs avec la soeur de Cab Calloway qu'il grave ses premières pistes en 1931. En 1932, il passe chez Benny MOTEN où il acquiert une solide réputation. Ensuite, Andy KIRK, Fletcher HENDERSON, Benny CARTER et Willie BRYANT (juillet-août 1935) l'accueillent dans leurs orchestres. Enfin, pendant quelques jours, Ben Webster remplace Barney BIGARD dans l'orchestre de Duke ELLINGTON jusqu'à début septembre.


Cab Calloway et son orchestre
Cab et son orchestre
(Ben Webster est le 2e musicien en partant de la gauche)

Chez Cab en route pour Hollywood !
Après son départ de l’orchestre de Duke ELLINGTON, Ben Webster retrouva effectivement du travail très rapidement, et l’on peut supposer que Duke – ou leur agent commun Irving MILLS – suggéra à Cab de l’embaucher. Cette proposition coïncida avec le départ d’Arville HARRIS de l’orchestre de Cab. Acceptant l’offre, Ben prit l’avion pour Toronto afin de rejoindre l’orchestre en tournée, sur la route d’Hollywood pour tourner dans The Singing Kid.
Il changea de train de vie, puisque son salaire passa à 100$ par semaine (au lieu de 35 chez Fletcher Henderson) et qu’il était transporté de ville en ville dans un wagon Pullman réservé aux musiciens de Cab.


The Singing Kid, Al Jolson - Cab Calloway
Al JOLSON dans The Singing Kid,
en compagnie de l'orchestre de Cab Calloway
(Ben Webster est le premier saxophoniste - je sais, c'est petit !).

Après Toronto, l’orchestre partit pour Détroit, Chicago, Hollywood, Sans Francisco, San Diego, le Cotton Club de Culver City. Ensuite, débuta le tournage de The Singing Kid, le 12 janvier 1936. Durant près d’un mois, les musiciens fréquentèrent les studios et tournèrent dans plusieurs scènes musicales, accompagnant Al JOLSON. Dans son indispensable livre*, Franck BUCHMANN-MOLLER explique que si l’on voit l’orchestre à l’écran, ce n’est pas lui qu’on entend mais bien les musiciens blancs des studios de la Warner, pratique courante à l’époque. Toutefois, les pistes gravées (Save Me Sister, etc.) et vendues en 78 tours sont bien celles des musiciens de Cab…

Ce n’est d’ailleurs pas le seul problème puisque la presse locale s’émut que les musiciens de Cab refusent d’apparaître maquillés en Blancs (Whiteface) autour d’Al Jolson (le célèbre Jazz Singer blanc maquillé en Noir – Blackface) pour une photo publicitaire.


Ben WEBSTER et Garvin BUSHELL dans l'orchestre de Cab Calloway
Ben Webster et Garvin Bushell
dans leur tenue de l'orchestre de Cab Calloway

Un pur produit de Kansas City pas franchement facile à vivre...
Au moment de quitter Hollywood en février 1936, Eddie BAREFIELD (sax ténor) et Al MORGAN (contrebasse) décidèrent de rester sur la côte Ouest. Ils furent remplacés sur le chemin vers New York respectivement par Garvin BUSHELL à Indianapolis et Milt HINTON à Chicago.
L’un comme l’autre d’ailleurs se souviennent bien du caractère de Ben. Un géant du ténor pas encore totalement développé et un type qui avait besoin d’impressionner les autres et d’être violent avec ses collègues (comme avec les femmes). « Un pur produit de Kansas City » dit plus tard Garvin Bushell, comparant son attitude à celle des loufiats et des maquereaux qu’il fréquenta durant son adolescence.

Twist and Frog : les meilleurs copains du monde !
C’est sans doute ce qui rapprocha Ben de Cab : tous deux devinrent les meilleurs copains du monde. Ils fréquentaient les bars et les bordels, n’hésitant pas à se battre avec les arrogants. Ils avaient même pris l’habitude de se chamailler et de se donner quelques coups pour régler leurs différends. Sans jamais rester fâchés. Autre point commun avec Cab, l’argot des musiciens que pratiquait Ben à tout-va et qu’il instilla progressivement chez tous les autres membres de l’orchestre de Cab.

Calloway Programme
Programme vendu lors des tournées de l'orchestre

Sur les routes du Sud et de la ségrégation
Avril 1936 : l’orchestre de Cab débarque enfin à New York et après une semaine à l’Apollo Theatre, et quelques engagements à Manhattan et Harlem, ils reprirent la route du Sud pour deux mois de tournée dans le Sud, en juin et juillet.

Je ne reviendrai pas dans cette note sur la peur qu’éprouvaient les musiciens à tourner dans le Sud des USA. De trop nombreux exemples illustrent l’ambiance ségrégationniste, raciste et effrayante de ce qui contribua à écrire de sombres pages de l’histoire du jazz. Emeutes, provocations, humiliations étaient le lot quotidien des musiciens en tournée.
Une anecdote racontée par Garvin BUSHELL dans son livre (auquel nous consacrerons une série de notes) met en scène Ben Webster. Ce dernier avait simplement récupéré un ballon que des gamins avaient laissé échapper et il l’avait renvoyé. Mais - suprême offense - le ballon cogna la tête d’un Blanc qui passait par là. Celui-ci menaça Ben qui fut secouru par Keg JOHNSON (trombone dans l’orchestre de Cab) qui tira en l’air avec son pistolet. Cela éloigna le teigneux qui porta plainte. Le directeur du théâtre de Washington où ils jouaient ce soir-là, planqua la pistolet dans son bureau. L’affaire n’eut pas de suite. Mais ça n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

La tournée dans le Sud remporta néanmoins un immense succès, l’orchestre jouant jusqu’à devant 11 000 personnes. Pourtant, face aux incidents se succédant et à la tension grandissant dans l’orchestre, Cab décida d’abréger la tournée. Tout le monde fut donc de retour à New York fin juillet.


Dans notre prochaine note consacrée à Ben WEBSTER,
nous verrons les circonstances qui poussèrent l'un des plus grands saxophonistes
à quitter l'orchestre de Cab... pour être remplacé par Chu BERRY !



Pour tout, mais alors tout savoir sur Ben WEBSTER :

Someone To Watch Over Me

* Someone To Watch Over Me, de Franck BUCHMANN-MOLLER (éditions Jazz Perspectives, 2006).
 
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