"The King of Hi-De-Ho" by Dempsey J. TRAVIS (1994)

 
Cette petite monographie est en réalité un tiré à part d’un plus gros ouvrage de référence, An Autobiography of Black Jazz (1983) de Dempsey J. TRAVIS (né en 1920).
Ses 16 pages sont un long monologue de Cab, interrogé par Travis, quelques années plus tôt, en 1983.

Après le succès remporté par son livre, Demsey J. Travis décida d’éditer une série intitulée Urban Jazz Series, comprenant 6 volumes. Chacun d’eux reprend le chapitre qui était consacré au jazzman dans An Autobiography of Black Jazz. Ceux qui eurent les honneurs de cette série sont : Jazz Slave Masters, Nat King Cole, Billy Eckstine, Joe Williams, Bud Freeman. Cab Calloway fut le sixième et dernier musicien de la collection. Dempsey J. Travis connaissait d’ailleurs Cab depuis toujours : de ses premières radios en 1931, à une première rencontre en 1936. Depuis, ils restèrent amis. Travis considère d’ailleurs que la comédie musicale Hello Dolly ne prit vie qu’avec l’interprétation de Pearl Bailey et Cab.


De Baltimore à Chicago
Après une introduction générique à la série, signée par Studs Terkel, Cab entame le récit de son existence par son enfance à Baltimore. Les fans de Blanche apprécieront les remerciements appuyés de Cab pour sa sœur aînée : « I have to attribute a great deal of my success to my sister, Blanche, who was six years older than I, and a natural gifted entertainer. »
Cab revient en détail sur ses premiers pas sur scène : notamment Plantation Days (1927). Il décrit également son admiration pour Louis ARMSTRONG, rencontré à Chicago, au Sunset Café dans lequel Cab devint le chanteur maison. Ce club de jazz à succès était une sorte de Cotton Club local, présentant des spectacles de qualité, avec chorus girls, orchestre de dix musiciens, comédiens et tap dancers.
Louis Armstrong y jouait en compagnie d’Earl HINES. A propos de Louis, Cab dit qu’il a toujours adoré sa manière de chanter et qu’il admirait le fait qu’un homme aussi talentueux gardât autant les pieds sur terre. Il considère d’ailleurs Armstrong comme l’une des plus grosses influences sur sa carrière, notamment pour ce qui est du scat, sur lequel Cab bâtit son succès.


The Alabamians
L'orchestre des Alabamians

Des Alabamians aux Missourians... au Cab Calloway orchestra !
Ensuite, Cab raconte son arrivée à New York avec les Alabamians, alors que la crise de 1929 venait de commencer. Force est de constater que malgré les licenciements et les banqueroutes, le show business ne connut jamais la récession. L’échec de leur première soirée au Savoy Ballroom est racontée sans ménagement : Cab dit qu’en arrivant à New York, face à des types comme l’orchestre de Cecil SCOTT (en résidence au Savoy), les Alabamians « sonnaient comme l’orchestre de Mickey Mouse » ! Et, alors qu’ils avaient un contrat de 15 jours, ils furent virés dès le premier soir !

Deux semaines sans travail à New York incitèrent Cab à aller voir son ami Louis Armstrong, qui remportait alors un succès infernal avec la nouvelle revue Hot Chocolates au Connie’s Inn de Harlem. Tellement de succès qu’il était obligé de jouer le même spectacle à Manhattan à l’Hudson Theater. Demandant du travail à Louis, ce dernier lui proposa carrément un rôle en remplacement de Paul BASS. Cab put alors chanter les rengaines écrites par Fats WALLER pour la revue : Ain’t Misbehavin’, Sweet Savannah Sue, Goddess Of Rain, Rhythm Man. A 100$ par semaine, Cab se sentait le roi du monde.

Un mois après l’engagement de Cab, le show partir en tournée avec un premier arrêt à Philadelphie puis Boston. C’est là qu’il fut contacté par Charlie BUCHANAN, le manager noir du Savoy Ballroom, qui lui demanda de quitter la revue et de rejoindre les Missourians pour en prendre la tête.

The Missourians
L'orchestre des Missourians

La carrière de Cab prenait un de ses premiers tournants importants : nouveau bandleader des Missourians, il passa une semaine au Savoy, puis quelques engagements à New York avant de rejoindre la club Krazy Kat, sur Broadway au niveau de la 48th rue. Trois semaines après, la veille de leur dernier spectacle, deux types vinrent les voir… Nous avons déjà narré les conditions dans lesquelles Cab et les Missourians furent engagés au Cotton Club : notre note ne diffère en rien des propos de Cab. Ce que l’on peut en dire c’est que les gars envoyés par la mafia avaient certainement eu des arguments convaincants auprès de Moe Gale, l’agent de Cab (allez jeter un coup d’œil sur la note concernant les relations tempétueuses entre les deux personnages) ; pour autant, Cab était au contraire le plus enjoué ! Il vit d’un coup son salaire doubler et se retrouvait sur la scène du club le plus branché du moment, dans lequel les meilleurs musiciens noirs jouaient : ceux de Duke Ellington.



L'égal de Duke Ellington
Cab profite de ce moment pour expliquer que le Cotton Club avait beau pratiquer la ségrégation, les musiciens noirs s’y sentaient bien traités. « Après tout, » dit-il, « que pouvais-je faire contre l’ordre social de l’époque ? Je doute sérieusement que le jazz aurait pu survivre si les musiciens noirs ne s’étaient pas accommodés des pratiques racistes du Cotton Club, Connie’s Inn, le Grand Terrace de Chicago et la plupart des club partout en Amérique dans lesquels des jazzmen noirs jouaient pour le public blanc. »

A seulement 22 ans, Cab se retrouvait quasiment à l’égal du Duke (de 8 ans son aîné). Cab décrit d’ailleurs bien sa relation avec Ellington : « J’étais tellement impressionné par Duke que je me sentais comme un enfant à côté de lui. J’avais la plus grande admiration pour lui. (…) Je me souviens de ses premiers mots ; ‘Comment ça va, mec ?’ ‘Pas mal, mec, pas mal.’ Les paroles suivantes du Duke furent ‘Content que tu aies pu t’arranger. Tu as un bon petit orchestre (a nice little band)’. » Duke lui promit d’ailleurs que s’il s’en sortait bien, il pourrait faire passer son orchestre de 10 à 16 musiciens.

Et très vite, les Missourians de Cab connurent le même succès de Duke : la radio retransmit leurs shows en direct du Cotton Club. Ils furent ensuite réclamés partout dans le pays. Dès la fin 1933, les orchestres d’Ellington et de Cab étaient en permanence sur la route au point que l’on embaucha un troisième orchestre : celui de Jimmie LUNCEFORD.



L'orchestre en tournée à Atlanta (photo de Milt Hinton)

Les lois Jim Crow n'empêcheront jamais Cab de profiter de la vie !
Cab raconte ensuite deux anecdotes illustrant la ségrégation aux USA : la première à Las Vegas dans les années 40. Ils jouaient au Last Fontier Hotel mais étaient obligés de passer par les cuisines pour rejoindre la section réservée aux Noirs. L’autre anecdote se déroule en Floride à Fort Lauderdale durant laquelle une jeune femme blanche sauta sur scène pour embrasser Cab. Devant un public de 5000 personnes, les Noirs d’un côté, les Blancs de l’autre, le geste fut perçu comme inadmissible par les deux partis. Cab dut son salut à une trappe dans le podium qui lui permit de s’échapper.

Les dernières lignes de ce court texte s’achèvent comme l’autobiographie de Cab : il y dit que « les gens disaient que j’avais 40 costumes et 40 paires de chaussures. Ils avaient tort. J’avais 50 costumes et 50 paires de chaussures avec 50 paires de gants gris perle pour aller avec. Ils disaient que j’avais perdu des millions de dollars. Ils avaient raison. Mais je n’ai toujours pas fini d’en perdre ! » Et sur ces mots, Cab donne un dernier conseil : profitez de la vie !


Pour ceux qui possèdent l’autobiographie de Cab, Of Minnie The Moocher & Me, The King of Hi de Ho présente peu d’intérêt, si ce n’est pour le collectionneur complétiste… D’ailleurs, vous trouverez d’ores et déjà dans The Hi de Ho Blog la plupart des informations délivrées dans ce livre à travers les lectures régulières que nous faisons d’Of Minnie The Moocher.

En revanche, An Autobiography of Black Jazz (1983) est un ouvrage carrément indispensable puisqu'il regroupe les témoignages d'une cinquantaine de musiciens de jazz interrogés dans les mêmes conditions que Cab Calloway. On y croise d'ailleurs de nombreux musiciens ayant joué avec lui ou ayant croisé son chemin.