Jean QUEINNEC: hot fan of Cab

 
Vous avez une question à poser sur le jazz et ses interprètes ? Vous cherchez une anecdote savoureuse sur les studios d’enregistrement français dans les années 50 ou 60 ? N’allez pas plus loin : Jean Queinnec – ancien directeur commercial de Bel Air (seconde chaîne de distribution chez Barclay) et Vice-Président opérations de CBS France – est un passionné par la musique depuis toujours, et du jazz depuis au moins aussi longtemps ! C’est également un fan de Cab qu’il a vu pour la première fois en 1953 lors de la tournée Porgy & Bess en France.


Premiers contacts avec le jazz

Ses premiers contacts avec le jazz, Jean Queinnec les doit à son père qui écoutait beaucoup de disques. « Ray Ventura et sa petite formation hot jouèrent un intermède trop court pendant leur programme. Mais le premier concert de jazz auquel j’ai assisté, c’était Aimé Barelli, le 23 février 1942 à Rennes. J’ai même gardé le programme (avec les corrections des noms des musiciens ayant remplacé ceux annoncés). Résultat, fin 1942, j’adhère au Hot Club de Rennes. » Il devint Délégué régional de Bretagne et démissionna d’ailleurs la veille de la fameuse scission entre Panassié et Delaunay. Depuis, il garde et affirme haut son indépendance.

Concert de Barelli en 1942 (collection Jean Queinnec)
Programme du concert de Barelli
23 février 1942 (collection Jean Queinnec)

 


Après la guerre, Jean Queinnec devient commerçant dans les postes de TSF l’électroménager. À cette époque, c’est dans ces magasins que l’on vend également des disques. Il s’intéresse de près à leur distribution et finit par entrer chez Barclay. Là, il va rapidement grimper les échelons, conciliant sa passion pour la musique et sa carrière professionnelle.



Cab à Paris, devant l'Etoile
Cab Calloway devant l'entrée du Théâtre de l'Etoile, Paris 1953.
 

Porgy & Bess à Paris, un soir de dernière...

En février 1953, Jean Queinnec assiste à l'Empire à la dernière à Paris de "Porgy and Bess" : « Un merveilleux spectacle, d'autant plus qu'aux salutations finales Cab s'est avancé pour entonner notre "Marseillaise" suivi par toute la troupe dont Leontyne Price. Je dois avouer que j'en garde un souvenir ému. » Jean était allé assister à cette représentation « uniquement à cause de la présence de Cab Calloway dans la distribution. En réalité je fus enthousiasmé par la qualité et la chaleur de tous les interprètes bien que n'étant pas un amateur d'opéras et malgré 'l'oncle tomisme' du livret et Gershwin tel qu'en lui-même, donc excellent souvenir. »


Jonah Joins The Cab
La fameuse galette de "Jonah Joins The Cab"
 
Jean Queinnec connaissait Cab bien avant 1953. Depuis longtemps, il l’écoutait, surtout les instrumentaux où il appréciait les qualités des solistes de l’orchestre. Mais c’était une tout autre histoire que de se les procurer, notamment pendant la guerre. « Seul "Jonah Joins The Cab / Willow Weep For Me" existait sur Columbia Suisse... Inutile de vous préciser les difficultés de se le procurer en pleine occupation. Toutefois, il me semble bien que Charles Delaunay l'avait dupliqué et fait faire un petit tirage à prix d'or pour les membres du HCF avec une étiquette blanche anonyme. » Jean Queinnec avoue d’ailleurs que le titre "Jonah Joins The Cab" agit comme une révélation des qualités de l’orchestre de Cab. Tout le monde semblait en être fan (comme d’ailleurs, en Suisse, chez Georges MATHYS, dont nous parlerons très prochainement en détail).


Fred ROBERTSON, pianiste de Cab Calloway ?
Fred Robertson, photographié en 1944 en France.
Pianiste de Cab Calloway ou imposteur ?
 

Fin 1944, Jean Queinnec croise d’ailleurs un GI noir du nom de Fred ROBERTSON qui affirme être un musicien de l’orchestre de Cab Calloway. « Un grand bonhomme qui venait jouer du piano au local du club de Rennes. Il nous régalait avec une interprétation excellente de ‘Miss Otis Regrets’. À l'époque j'avais regardé en vain dans une des premières discographies de Charles Delaunay et je n'avais pas trouvé trace de notre "pianiste" en question. Ce Fred Robertson est resté 2 semaines environ, de décembre 1944 au tout début de 1945. Et de toute façon, nous lui trouvions beaucoup de talent… même s'il était un peu imposteur ! »

« À la Libération, ce fut la chasse aux V-Discs avec toutes les combines avouables et non avouables pour se les procurer et pour trouver "Geechie Joe" il fallait être initié ! Heureusement, rue Chaptal, il existait un spécialiste qui pouvait faire des copies correctes sur 'acétate' qui hélas s'usaient trop rapidement. » Quels veinards sommes-nous avec les CD disponibles à tout instant, d’un clic de souris !
 
Pourtant, d’après Jean Queinnec, il fallut attendre la chanson d’Henri SALVADOR, "Armstrong, Ellington et Calloway" (1948) pour que les disquaires mettent plus facilement en rayon les disques de Cab. De toute manière, à l’époque, les magasins étaient tributaires de la maigre distribution du marché.
 

Quelques exemples d'annonces-presse parue dans Jazz Hot
(collection Jean Queinnec)

« Pour les collectionneurs passionnés, dès que les relations avec les USA furent facilitées, c'est par le biais d'échanges d'éditions françaises, telles que Django, avec des collectionneurs américains que l’on pouvait acquérir quelques 78 tours. On n’avait pas de possibilité d'envoyer de l'argent. Parmi d'autres raretés, nous recherchions avidement tous les disques de Cab des sessions Vocalion/Okeh à partir de 1939 et épluchions les Auction Lists du Record Changer pour dégotter ces perles quasi-introuvables, même aux USA ! » Les disques qui parvenaient n'étaient jamais en bon état, notamment à cause de l’effort de guerre qui avait largement nuit à la qualité de la matière de pressage.


CBS Aimez-vous le Jazz n°10
Aimez-vous le Jazz ? N°10,
produit par Jean Queinnec avec Henri RENAUD

D’ailleurs, lorsque Jean Queinnec, alors responsable chez CBS France, demande à Henri RENAUD de publier le premier 33 tours sur Cab Calloway regroupant ses enregistrements des années 40, ils eurent beaucoup de difficultés à réunir des exemplaires originaux en suffisamment bon état pour produire l’album. La maison-mère aux Etats-Unis considérant que ce type de produit n’était pas rentable (déjà !), elle ne fournit aucune aide pour sa réalisation. Ce sont donc des collectionneurs français et étrangers qui prêtèrent leurs précieuses galettes. Peu de temps après sortait donc « Aimez-vous le Jazz ? n°10 » avec 16 titres « classics » de Cab ! C’était – à mon humble avis – l’un des vinyles incontournables de Calloway, indispensable à tout collectionneur. Pourtant, d’après Jean, « Avec les procédés de duplication de l'époque, le résultat n'est pas très satisfaisant malgré tout. Enfin ce qui importait c'était de faire connaître les qualités de cet orchestre mythique. Depuis il a été fait bien mieux... sauf parfois... »

Pourtant, Jean Queinnec en a connu des enregistrements, notamment lorsqu’il était directeur administratif du studio d'enregistrement Barclay-Hoche. C’est là qu’il peut assister en témoin privilégié aux sessions de la bande originale du film « Paris Blues », avec rien de moins que Louis ARMSTRONG et Duke ELLINGTON. Jean précise : « Je me souviens de Louis répétant quelques mesures simplement avec Duke pour se mettre d’accord. Et ensuite, tout s’est fait naturellement. Et dans ces studios, j’ai pu croiser Léo Ferré, Charles Aznavour, même Dalida ! Les grands noms et les petits… »


Sacha Chemkevitch
Tableau de Sacha Chemkevitch (collection Jean Queinnec)
 

Homme avec des valeurs fortes et d’un grand attachement à la qualité artistique, Jean Queinnec a ainsi croisé la route de nombreuses personnalités. On citera, entre autres, Charles DELAUNAY, Boris VIAN... Un peintre qui fut l’un de ses grands amis retient son regard. C’est Sacha CHEMKEVITCH qui peignit plusieurs séries de tableaux sur le jazz (décédé en 2006). Sur celui reproduit plus haut figure même Cab Calloway !



 
C’est encore grâce à Jean Queinnec que l’on doit la parution de quelques CDs de Cab Calloway chez CBS (il avait fabriqué le tout premier CD en France, celui de Jean-Jacques Goldman !), notamment en 1987 juste avant son départ en retraite. Ancien vice-président Opérations chez CBS, il garde naturellement depuis des contacts réguliers avec le monde du disque, lui qui a tant fait pour le jazz et la chanson française (il a ardemment collaboré à l’Anthologie de la Chanson Française parue chez EPM) a même contribué à la sortie de plusieurs CD dans la collection Jazz Archives chez EPM.

Aujourd’hui, après s’être débarrassé de la plupart de ses disques vinyles (NDLR : comment est-ce possible ??), Jean Queinnec partage son temps entre ses petits-enfants et ses contacts avec d’autres amateurs de jazz et de musique en général. L’oreille fine et la mémoire toujours précise, la main prête à saisir une Hot Discographie de Delaunay, Jean Queinnec est plus que jamais un témoin actif et précieux. Je lui dois d’ailleurs de nombreux renseignements distillés tout au long des articles de The Hi De Ho Blog.


Au nom du jazz, qu’il en soit sincèrement et amicalement remercié !

 

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