“I Guess I’ll Get The Papers And Go Home” by Doc CHEATHAM (part 3)

Troisième et dernière partie de notre lecture des mémoires de Doc Cheatham, cette note nous permet de voir la tournée européenne du Cotton Club en 1934 avec un regard bien différent de celui de Cab (et sans doute plus juste). nous verrons le départ de Doc en 1939 de l'orchestre et son escapade en France au début de la guerre. La fin de sa carrière mérite tout autant que l'on s'y intéresse tant Doc n'a cessé de jouer jusqu'à la fin de sa vie, lui qui était d'une santé si fragile et qui s'éteignit à 91 ans !

 


Tournée européenne
 
L’ouvrage de Doc Cheatham est passionnant en particulier pour sa narration de la tournée européenne du Cotton Club en 1934. Vous pouvez d’ailleurs retrouver une note complète sur le sujet. Ici, nous nous concentrerons sur le point de vue de Doc, qui diffère sensiblement de celui de Cab (pour ne pas dire qu’il est parfois même carrément opposé).
En effet, Doc considère que le public européen ne les traita pas comme ils étaient habitués jusqu’alors. Sur le paquebot qui les transportait, le S.S. Majectic, tout le monde était particulièrement agréable avec eux. Le commandant, sur l’insistance des passagers, demanda à Cab s’il voulait bien jouer pour eux, ce qu’il accepta avec plaisir.

La déconvenue, car c’est bien ainsi qu’il faut le dire, fut grande à Londres au moment où  ils annoncèrent Cab, les musiciens qui étaient dans la fosse se mirent à faire des couacs et des sons bizarres avec leurs instruments. Doc estime que le public anglais ne les a pas aimés. D’après lui, « Cab était un gueulard et ça ne convenait pas, ni ça, ni l’orchestre. » L’expérience fut la même à Manchester. Doc dit qu’ils eurent un meilleur accueil en Ecosse, mais il fait une erreur puisque la tournée n’alla jamais là. La tournée se poursuivit d’Angleterre en Hollande puis jusqu’à Paris pour les dernières dates. D’ailleurs, lors du concert du 24 avril 1934, Cab ne se montra pas avant une heure. Quand on le trouva, il était saoul. Les gars l’emmenèrent dans sa loge et lui donnèrent tout le café qu’il put avaler. Mais Cab était encore saoul lorsqu’il monta sur scène. Il essaya péniblement de parler français ; ce fut lamentable. Et devant une salle comble, au grand désespoir de Doc !

Malgré cette expérience « délicate », Doc parle d’un amour éternel voué à Cab, auquel, dit-il, il rêve chaque nuit.
 

Démission pour santé précaire

Quelques années plus tard, alors qu’il attendait pour un nouvel embout spécial pour sa trompette, un personne qui était là demanda de lui montrer comment il jouait. « L’examinateur » prononça son verdict : Doc courait vers les problèmes de santé car il jouait avec ses poumons et non avec son diaphragme ? Max SCHLOSSBERG (orthographié avec une seul 's' dans le livre, auteur d'un manuel réputé pour trompettistes : Daily Drills and Technical Studies), car c’était lui, lui donna alors des cours pour bien respirer et mieux jouer. C’est sans doute ce qui lui sauva la vie !

Mais c’est tout de même parce qu’il était épuisé de la vie de l’orchestre, des soirées au Cotton Club que Doc Cheatham se résolut à quitter Cab en 1939. Tout de suite après avoir démissionné, il partit se retirer à Nashville chez ses parents, pendant plus de 6 mois. La différence de rythme de vie fut telle qu’il fit une dépression. Il repartit alors en voiture pour New York où il donna des cours de trompette dans un des studios d’Andy BROWN.

Il rejoignit l’orchestre de Teddy WILSON et parvint à y rester, malgré sa faiblesse physique, grâce au soutien de Ben Webster. Il joua même dans le dernier orchestre de Fletcher HENDERSON. Appelé sous les drapeaux,il obtint une place aux postes de Long Island où il resta deux ans. Ensuite, il se consacra à l’enseignement. Il continua toutefois de participer à quelques sessions, dont plusieurs avec Billie HOLIDAY pour laquelle il avait le béguin.
Il fut engagé dans un orchestre cubain et joua même longtemps avec Perez PRADO, qui lui fit les pires coups avec sa paie, en pleine tournée. Pourtant, c’est à Punta Del Este en Uruguay que Doc rencontra sa femme.
 

S’installer à Paris en pleine guerre, pourquoi pas ?

Question chronologie, les mémoires de Doc sont un peu embrouillées, particulièrement sur cette période. Pourtant, ne passons pas à côté de cette péripétie qui lui arriva en septembre 1939. C’est le moment que Doc choisit pour venir s’installer à Paris afin de rejoindre un Cubain qui était déjà là-bas. Arrivé en pleine débandade générale, il ne trouva personne et chercha à repartir pour les USA. Il s’attira les faveurs du consul qui lui donna un laissez-passer avec autorisation de voyage sur un cargo au Havre en partance pour New York.

Il ne revint jouer à Paris qu’en 1950, alors qu’il n’y avait plus de travail à Manhattan.
Il y rencontra Buck CLAYTON, Coleman HAWKINS et Eartha KITT. Il remplaça même Buck Clayton lors d’un concert à Nancy. D’ailleurs, au grand désarroi des spectateurs qui ne s’étaient rendu compte de rien, le speaker annonça qui il était après l’entracte !

Ensuite, Doc retourna à New York jouer avec des orchestres latinos. Il s’installa ensuite à Boston avec l’aide du tromboniste Vic DICKENSON. Il croisa Charlie PARKER alors que Doc jouait du Dixieland. Il retrouva à nouveau Wilbur DE PARIS avec comme mission de mettre au point leur répertoire. Doc recopia note par note tous les enregistrements de Wilbur en recréant les arrangements. De Paris, toujours aussi radin, ne le paya que 100$ après deux mois d’insistance. Doc s’en plaignit auprès du syndicat mais n’obtint rien de plus.


Un manuel pour trompettistes
 
Doc mit à profit toute son expérience en écrivant un manuel d’exercice pour trompettiste : « Ad Lib Chord Reading ». En 1958, il vint en Europe avec la tournée avec Sammy PRICE. Pie XII mourut à ce moment-là et la tournée fut annulée. Ils se rabattirent sur Paris afin d’enregistrer un double album de Gershwin pour le Club Français du Disque. A Paris, d’ailleurs, une personne le confondit avec Johnny HODGES et lui donna plein d’échantillons.

C’est à cette époque qu’il commença à chanter en orchestre. Sa carrière prit un nouvel essor en tant que soliste. Il joua pendant un an dans l’orchestre de Benny GOODMAN (autre radin patenté !). On lui proposa de travailler dans l’orchestre de Duke, mais sortant d’une opération, il devait rester en convalescence. Un des grands regrets de sa vie.

Milt Hinton et Doc Cheatham en 1995


A 80 ans, au moment où il rédigea ses mémoires, Doc CHEATHAM avait l’impression que son jeu s’était amélioré. En tant que vétéran du jazz, il finit sa vie entre les différents hommages rendus de-ci de-là. Il retrouva Cab à plusieurs reprises : pour une série de concerts à Carnegie Hall, aux côtés de Milt HINTON, Eddie BARREFIELD et Panama FRANCIS ; lors de l’enregistrement de Old Man Time de Milt Hinton et en 1992 lorsqu’ils partirent ensemble en Norvège.

Doc CHEATHAM s’est paisiblement éteint en 1997, trois ans après Cab Calloway. Lui qui toute sa vie eut une santé fragile mourut tout de même à 91 ans.


Retrouvez :




I Guess I'll Get The Papers and Go Home - The Life of Doc Cheatham,
Adolphus 'Doc' Cheatham, avec Alyn Shipton (Editions CASSELL, 1995 et 1998)

 

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